Les applications de la réalité virtuelle (VR) en éducation peuvent créer des expériences actives dans des mondes de plus en plus immersifs et fournir aux apprenants un environnement sécuritaire pour tester et pratiquer des situations autrement stressantes ou, dans certains cas, dangereuses.

Dans le cadre de leur formation, les futurs enseignants (étudiants-enseignants) sont envoyés dans des écoles pour mettre en pratique ce qu’ils apprennent et travailler côte à côte avec un enseignant expérimenté… qui observera l’étudiant-enseignant, évaluera ses performances et lui fournira un retour d’information pour l’aider à affiner son métier. Les étudiants sont également évalués par leurs superviseurs universitaires. Comme cette expérience se déroule dans une vraie salle de classe, avec de vrais élèves, elle peut facilement devenir intimidante, socialement gênante et très difficile.

Dans ce contexte, et en étroite collaboration avec une équipe de l’Unité d’enseignement de l’anglais langue seconde (TESL) du département d’éducation de Concordia et le Laboratoire pour l’innovation dans l’enseignement et l’apprentissage, nous avons créé une expérience de VR où les étudiants peuvent se préparer, dans un environnement virtuel sécuritaire et personnalisé, à leur entretien d’évaluation avec leur mentor (enseignant en classe ou superviseur universitaire).

Pour approfondir le développement de cette expérience et son contexte, nous avons discuté avec la Dre Teresa Hernandez Gonzalez, directrice des programmes TESL de premier cycle et professeure adjointe du Département de l’éducation de l’Université Concordia et initiatrice de ce projet, ainsi qu’avec quelques participants au programme.

Quelle était l’idée derrière ce projet?

L’enseignement est une profession exigeante. C’est un métier qui se fait ou se défait. Tout le monde ne peut pas être enseignant, malgré ce que la société a tendance à croire. Il faut une attitude et un état d’esprit qui, si vous ne les avez pas, font de l’enseignement une entreprise impossible. Cela pourrait expliquer le taux élevé d’attrition parmi les enseignants. C’est l’une des professions les plus stressantes et pourtant, je crois, l’une des plus épanouissantes et des plus agréables. Et je pense que tout dépend de l’état d’esprit et des compétences mentales que vous mettez en place. Cependant, développer ces compétences mentales tout en enseignant serait comme demander à un chirurgien de développer ses compétences chirurgicales en opérant de vrais patients ou à un pilote de s’entraîner à décoller avec un avion rempli de passagers. Avec ce projet de VR, nous voulons offrir aux futurs enseignants la possibilité de développer les aptitudes mentales qui leur permettront d’apprécier cette merveilleuse profession dans un environnement qui n’est pas menaçant et où l’échec n’est qu’une partie du jeu pour s’améliorer. Il s’agit d’injecter un peu de jeu, un peu de « essayons encore », dans le processus pour devenir un bon enseignant.

Let’s try this again (Essayons encore) est également le nom de ce projet. Quelle est l’histoire qui se cache derrière?

Nous pensons sincèrement que le moyen de s’améliorer dans quelque chose est d’essayer encore et encore et de réfléchir à ce que l’on fait. Il faut se pratiquer en permanence et il est tout indiqué de réfléchir sur la pratique. Nous voulons permettre aux futurs enseignants de pratiquer encore et encore pour qu’ils puissent réfléchir et sentir qu’ils peuvent le faire. « Essayons encore une fois » est une façon de dire : « Tu as compris, on peut le faire, essayons encore une fois. » Nous voulons également nous assurer que c’est l’attitude des enseignants envers leurs étudiants et tous ceux qui les entourent. Nous n’allons pas faire les choses parfaitement tout le temps, il se peut que nous ne les fassions jamais parfaitement, mais la joie est dans le processus d’essayer, d’imaginer ce que nous pourrions faire, de faire simplement un essai, puis d’en tirer des leçons pour essayer plus souvent. Il y a toujours un nouveau jour, une nouvelle occasion de dire « essayons à nouveau ». Je crois fermement à la réparation et non au désespoir. Et avec chaque réparation que nous tentons, si elle est bien faite, nous devenons plus résilients et plus sages, et donc nous apprécions aussi notre travail, car nous devenons plus compétents, et ainsi nos tâches se transforment en défis ludiques.

Comment est née l’idée d’utiliser la VR pour aider les étudiants à réfléchir à leur pratique?

Il est déchirant de voir un étudiant-enseignant faire face à une situation pour laquelle il n’est pas bien outillé, émotionnellement ou mentalement. Pour en revenir à l’idée de couler ou de nager, les voir couler n’est pas un sentiment facile quand vous savez qu’ils pourraient nager si on leur donnait l’occasion d’apprendre, petit à petit, avec plus d’essais, dans un environnement sécuritaire.

Mon père travaillait pour les forces aériennes en Espagne, où il apprenait aux soldats à piloter des avions à l’aide d’un simulateur. Je me souviens qu’enfant, je suis montée dans un de ces simulateurs. J’ai également lu des articles sur des programmes destinés aux chirurgiens et aux infirmières, qui s’entraînent dans des environnements virtuels. L’idée de pouvoir s’exercer dans un environnement sécuritaire pour apprendre me semble essentielle. Je me suis donc demandé s’il était possible de créer un environnement d’apprentissage sécuritaire pour notre programme de formation des enseignants à l’Université Concordia. Pouvons-nous permettre aux enseignants d’explorer et de tester leur pensée dans un environnement sûr? Pouvons-nous rendre cela amusant? C’est ce qu’est le jeu : tester les compétences qui sont ensuite utilisées pour les défis de la vie réelle dans un environnement sécuritaire.

Comment avez-vous perçu la VR avant de travailler avec elle? Quelles étaient certaines de vos idées préconçues?

Certaines des idées préconçues que j’avais étaient liées aux appareils. Je pense qu’il y a encore beaucoup à améliorer dans ce domaine. Pour que la VR soit réellement immersive, je pense que nous devrions être capables d’oublier que nous portons un dispositif sur nos yeux. Il est passionnant de participer à cette exploration et d’être témoin de l’évolution de la technologie. En même temps, l’imagination est puissante. J’avais l’habitude de jouer avec des boîtes à chaussures que j’utilisais comme voitures de course pour mes poupées. Est-ce de réalisme dont nous avons besoin dans la VR ou d’affiner de notre capacité à être immergé dans l’imaginaire? Il reste des tonnes de questions à explorer encore. Tout cela est fascinant!

Quels sont les défis que vous avez rencontrés en travaillant avec la VR, et comment les avez-vous surmontés?

Le principal défi pour moi était la quantité de temps et d’efforts nécessaires pour concevoir et développer chaque aspect d’une expérience immersive. Je suis sûre qu’avec l’évolution de la technologie, ce sera plus facile et moins long, mais la quantité de travail et de temps qu’il faut maintenant est considérable. De nos jours, nous voulons que les choses se passent rapidement. Cependant, le processus de création d’une excellente expérience immersive doit aussi embrasser le processus itératif de l’apprentissage. Rien d’exceptionnel ne vient « du vite et de la rapidité ».

Quelles sont les différences que vous avez constatées en travaillant avec la VR par rapport à d’autres supports?

L’argument le plus crucial pour utiliser la VR est lié à sa nature immersive. L’accumulation d’expériences crée des souvenirs et l’automatisation, des processus. Malgré l’enseignement qu’ils reçoivent dans leurs programmes universitaires, les nouveaux enseignants ont tendance à enseigner de la manière dont on leur a enseigné. En effet, lorsqu’ils sont confrontés à la situation stressante d’une vraie salle de classe, ils ne se tournent pas vers les connaissances acquises à l’université, mais vers les souvenirs stockés lors de leurs précédentes expériences en tant qu’étudiants, et ils les reproduisent. Par conséquent, la création d’expériences immersives qui peuvent être stockées en tant que souvenirs aide les nouveaux enseignants à activer ces souvenirs lorsqu’ils enseignent dans une classe réelle.

À votre avis, qu’est-ce que les gens comprennent le moins de l’expérience en VR?

Je pense que les gens abordent la VR par l’un des extrêmes. Soit ils croient que cela n’a rien à voir avec la réalité et sont surpris par l’immersion et la crédibilité de l’expérience, soit ils s’attendent à une expérience complètement réaliste et sont déçus par la sensation d’être encore loin de la réalité. La VR se situe entre les deux, mais reste suffisamment puissante pour créer des souvenirs et aider à l’apprentissage dans un environnement sécuritaire.

Quel rôle pensez-vous que la VR pourrait jouer dans le travail de recherche? En quoi est-elle similaire ou différente des autres outils?

Nous devons utiliser la VR dans la recherche comme un autre moyen d’éviter les tests sur les humains. Elle nous donne le contrôle pour sélectionner les variables et les manipuler pour tester les résultats, mais sans mettre les humains en danger. L’un des problèmes de la recherche en éducation est la « validité écologique ». Les études menées en laboratoire ne sont pas transférables dans la réalité d’une salle de classe, mais les variables d’une salle de classe réelle ne peuvent être contrôlées pour produire des conclusions solides. Je suis impatiente de voir ce phénomène se produire dans le domaine de la formation des enseignants. À mesure que la VR évolue, l’ajout de l’intelligence artificielle, par exemple, nous permettra d’utiliser la VR à des fins de recherche de manière inédite.

Quelle a été la réaction des étudiants jusqu’à présent?

La réponse a été très positive. Ils nous ont dit qu’ils se souvenaient de l’expérience de VR lorsqu’ils étaient confrontés à une situation similaire dans leur pratique réelle, ce qui était notre objectif principal. En créant d’autres scénarios, nous pourrons voir ce qui est le plus efficace pour préparer nos enseignants aux défis de la profession.

Quelles autres applications de la VR envisagez-vous à l’université?

La formation des professeurs à l’enseignement, par exemple. Imaginez suivre un cours sur la façon de parler à un collègue lors d’une réunion de département, ou sur la façon de discuter de questions complexes avec un étudiant, ou de discuter de la charge de travail dans un travail de groupe entre étudiants. Si vous pouvez imaginer la situation et la lutte qu’elle implique, vous pouvez former n’importe qui à y faire face et à la gérer au mieux. Ensuite, les souvenirs vous permettront de réagir automatiquement lorsque vous serez confronté à cette situation spécifique.

Quel conseil donneriez-vous aux autres professeurs qui envisagent d’utiliser la VR dans leur enseignement?

Je recommanderais d’avoir une idée claire des résultats de l’apprentissage. Nous devons faire attention à ne pas utiliser la VR comme un outil de divertissement. Dans l’enseignement, nous voulons rivaliser avec tout le reste en essayant d’attirer l’attention de nos étudiants et d’être aussi flashy et attrayant que les médias sociaux ou d’autres applications technologiques. Et je pense que c’est une erreur. Nous devons rester forts en ce qui concerne nos fondements pédagogiques, en commençant par les objectifs d’apprentissage. Il est possible que nos objectifs d’apprentissage soient mieux atteints autrement. Utilisons la VR pour ce que les autres outils ou techniques n’atteignent pas, et pas seulement pour divertir nos étudiants.

Avez-vous des anecdotes amusantes sur la VR à partager?

Nous avons bien ri en parlant de l’apparence des avatars, des noms à donner aux personnages et des dialogues. Nous avons une équipe formidable qui travaille ensemble sur ce projet, et les rires font partie du processus. Ce fut un processus très agréable, et nous attendons avec impatience d’autres rires en cours de route!

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Note technique du projet

Type d’expérience : VR

Le programme VR et TESL : L’objectif était de développer un outil d’apprentissage efficace pour aider à préparer les futurs enseignants à recevoir un retour d’information de leurs enseignants-mentors une fois sur le terrain.

Durée de l’expérience de VR : 10-15 minutes

Logiciels et technologies utilisés : L’expérience VR a été développée avec le moteur de jeu Unity pour être déployée sur le casque VR autonome Quest 2.

Dre. Teresa Hernandez Gonzalez

Dr. Teresa Hernandez Gonzalez a suivi un programme de cinq ans à l’Université de Salamanque en sciences de l’éducation, où elle s’est sentie chez elle, à parler de questions d’éducation, et n’a jamais voulu faire autre chose. Elle a travaillé en tant que conseillère de camp, directrice de programmes parascolaires, directrice de programmes en plein air, professeur d’anglais au primaire dans un programme bilingue espagnol-anglais et professeure d’université. Elle a complété sa formation par une maîtrise en communication interculturelle à l’Université de Pennsylvanie et un doctorat en méthodes d’enseignement en éducation interculturelle. Dans le domaine interdisciplinaire de l’éducation, elle a étudié et travaillé sur les stratégies d’apprentissage, l’évaluation formative, le mentorat des enseignants et, dernièrement, la ludification de l’apprentissage, qui rejoint toutes les questions auxquelles elle tente de répondre depuis le début de sa carrière dans l’enseignement : comment l’apprenant peut-il contrôler son apprentissage et faire ainsi de l’éducation une force d’autonomisation?

Ariella Pardo

Facilitatrice de projet

Étudiante en dernière année de TESL, Université Concordia

Sarah Ercoli

Coordinatrice de projet

Ancienne étudiante TESL/Étudiante en maîtrise, Linguistique appliquée, Université Concordia