La première fois que j’ai entendu le mot « créatif » c’est en maternelle, quand mon cheval à douze pattes a arraché un sourire à mon éducatrice et ce commentaire qui m’a étonné : « Au moins, c’est créatif! » À ce moment-là, je l’ai pris comme un compliment, même si le mot lui-même ne voulait pas dire grand-chose pour moi.

En vieillissant, je me suis mis, comme mon entourage, à associer la créativité aux peintres, poètes ou artistes qui s’investissent jour après jour dans la maîtrise de leur art. Or, ce n’est pas tout à fait ce en quoi consiste la créativité ni ce en quoi elle devrait consister; nous en avons tous besoin ou en faisons tous usage sur une base régulière. Tenter d’apposer le label « créatif » sur quelque chose n’est pas seulement un processus complexe, mais un exercice impliquant aussi un certain degré de subjectivité.

En apprentissage en ligne, il n’existe pas d’approche simple à adopter ni de recette à suivre lorsqu’on parle de créativité. On peut toutefois recourir à quelques méthodes pour évaluer si un programme d’apprentissage comporte la touche d’originalité susceptible de susciter l’intérêt de l’apprenant. En gardant à l’esprit que la créativité seule ne suffit pas pour atteindre vos objectifs d’apprentissage, voici quelques pistes pour mieux la saisir et l’évaluer.

« La créativité n’est pas un animal aux longs cils! » (Lilian Katz)

D’abord, qu’est-ce que la créativité? Créer un objet différent ou original ne fait pas de vous une personne créative… mais si votre objet (quel qu’il soit) est non seulement original, mais aussi de grande qualité, vous vous rapprocherez de la « créativité ». De nombreux chercheurs dans le domaine définiraient en gros cette faculté comme le processus qui consiste à produire quelque chose qui est à la fois original et utile (Csikszentmihalyi, 1999, 2000; Kozbelt, Beghetto, et Runco, 2010; Lubart et Mouchiroud, 2003; Sternberg et Lubart, 1996). Ce « quelque chose » peut englober de nombreuses facettes et s’étendre sur différents domaines : de la composition de poèmes à la construction d’une maison, ou encore de l’élaboration d’un procédé chimique à celle d’une procédure commerciale. Autrement dit, il n’y a pas de champ d’activités particulier où la créativité est ou devrait être plus répandue.

Il existe toutefois un large éventail de définitions de la créativité, d’où le grand nombre d’approches qui se sont multipliées en vue de l’évaluer. Ajoutons à cela que la créativité peut être examinée sous une multitude d’angles : certains liés à l’environnement dans lequel elle éclot, d’autres en lien avec les caractéristiques personnelles requises pour l’induire ou encore avec le processus qui la sous-tend (en tant que somme des schémas de pensée impliqués). Bien que je ne compte pas à vous présenter ici tous les critères qui s’appliquent à ce type d’évaluation, j’aspire tout de même à vous donner des balises pour vous permettre d’attribuer un label « créatif » à vos cours en ligne. Puisque les angles sous lesquels analyser le phénomène sont nombreux, je me concentrerai sur l’évaluation de la créativité de vos cours en ligne en tant « produit final ».

Mettre l’accent sur les attributs pertinents

La théorie de la matrice d’analyse créative des produits (Creative Product Analysis Matrix theory – CPAM) (Besemer et Trefiger, 1981) a été développée dans le but de faciliter l’analyse des produits finaux et pour attirer l’attention des critiques sur leurs caractéristiques pertinentes. Elle tient compte des trois dimensions que sont la Nouveauté, la Résolution ainsi que l’Élaboration et la Synthèse : « La Nouveauté tient compte du caractère innovateur des matériaux, des procédés, des concepts et des méthodes de fabrication du produit. La Résolution tient compte des aspects du bon fonctionnement ou de l’efficacité du produit. L’Élaboration et la Synthèse décrivent les composantes stylistiques du produit. »

Chacun de ces facteurs est examiné sous un ensemble d’aspects (neuf au total) : l’originalité et la surprise (pour Nouveauté); la logique, l’utilité, la valeur et la compréhension (pour Résolution); ainsi que le caractère « organique », la qualité de réalisation et l’élégance (pour Élaboration et Synthèse). De cette théorie est né un outil d’évaluation appelé « échelle sémantique créative des produits (Creative Product Semantic Scale ou CPSS), qu’on utilise en général dans un contexte de groupe.

« L’échelle sémantique créative des produits est notée sur une échelle de Likert à 7 points, allant de 1 à 7 entre les adjectifs bipolaires, tels qu’ »ancien-nouveau ». Chacune des neuf sous-échelles est composée de quatre ou cinq éléments. Les notes de sous-échelle sont construites en prenant la moyenne des éléments qui composent la sous-échelle. Par exemple, la sous-échelle Élégance comporte cinq éléments (paires d’adjectifs) : gracieux-étrange, raffiné-chargé, grossier-élégant, repoussant-charmant et attrayant-peu attrayant. Le résultat d’un participant pour Élégant est calculé à partir de la moyenne des résultats obtenus pour ces éléments. Certains éléments sont présentés dans l’ordre inverse, ce qui nécessite un recodage pour que les notes les plus élevées représentent systématiquement les notes les plus élevées. »

L’un des avantages de ce modèle d’évaluation est le fait qu’il permet à des juges non formés de participer au processus de notation, donnant une approche plus diversifiée à la labellisation d’un produit comme étant créatif. Par contre, lorsqu’on compare différents produits, ce modèle ne permet pas de préciser pourquoi un produit donné est jugé plus utile que les autres ou quelles sont les caractéristiques qui le rendent distinct. Des groupes de discussion ou d’autres techniques complémentaires peuvent ici s’avérer utiles pour mieux comprendre la complexité de la créativité d’un produit.

La parole aux experts

D’abord décrite par Teresa Amabile en 1982, la technique de l’évaluation consensuelle met l’accent sur l’expertise. Le jugement du produit final se fait habituellement de manière isolée et individuelle par des experts, leurs points de vue étant par la suite recueillis et comparés afin de pouvoir établir une notation globale.

Choisir le bon juge peut être une tâche fastidieuse, puisque l’ensemble du processus d’évaluation s’avère très subjectif et qu’il peut être ardu de trouver des candidats aptes à comprendre chaque produit. En contrepartie, les résultats de cette technique sont généralement plus nuancés et reposent sur l’expertise plutôt que sur des « sentiments instinctifs ».

Les juges évaluent le produit final en « mesurant » la créativité sur une échelle précise (par exemple, de 1 à 10 – l’éventail peut varier, mais il doit comporter au moins trois niveaux pour assurer la diversité). Le résultat obtenu n’est jamais accompagné d’explications. Bien que la technique soit souvent considérée comme l’étalon-or des évaluations de la créativité, il y a toujours des limites liées à la difficulté de choisir les juges, à l’absence de critères normalisés et au fait que le processus peut devenir particulièrement chronophage.

Une approche infaillible?

Les discussions sur la validité d’une approche par rapport à une autre pourraient durer éternellement. La vérité est que tant que les normes d’évaluation ne sont pas absolues, la créativité et la façon dont nous la percevons changent constamment. La culture des juges, leur subjectivité, la présence de certains biais, de même qu’une tendance généralisée à préférer des produits « conventionnels » peuvent ainsi faire basculer l’échelle de la créativité de l’étonnant à l’ennuyeux en un clin d’œil.

Existe-t-il donc un moyen infaillible de labelliser un produit comme étant créatif au-delà de tout doute raisonnable? Il est fort probable que non. L’approche la plus simple est d’essayer de vous mettre dans la peau de votre public cible (un exercice de personas peut s’avérer utile) tout en gardant à l’esprit que de gustibus non est disputandum (les goûts ne sont pas à discuter).

Nous sommes tous créatifs

« Ce n’est probablement qu’une idée de profane que la personne créative est particulièrement douée d’une certaine qualité que les gens ordinaires n’ont pas. Cette conception peut être écartée par les psychologues, très probablement d’un commun accord. La conviction psychologique générale semble être que tous les individus possèdent dans une certaine mesure toutes les capacités, à l’exception de l’apparition de pathologies. On peut donc s’attendre à des actes créatifs, aussi faibles ou peu fréquents soient-ils, de presque tous les individus. » (Guilford, 1950 p. 446)

Définitions de la créativité

  • La créativité est un produit ou une réponse à la fois nouvelle et appropriée, utile, correcte ou valable à la tâche à accomplir. Amabile, 1996
  • La créativité peut être considérée comme la capacité de former des associations d’idées éloignées les unes des autres pour générer des solutions originales et utiles à un problème donné. Atchley, Keeny et Burgess, 1999
  • La créativité c’est de générer des idées et des alternatives. Carr et Johansson, 1995
  • La créativité change un domaine existant ou transforme un domaine existant en un nouveau. Csikszentmihalyi, 1997
  • La créativité est la production d’idées ou de produits nouveaux et utiles. Dewett, 2003
  • La créativité implique de générer un comportement nouveau qui répond à une norme de qualité ou d’utilité. Eisenberg, Haskins et Gambleton, 1999
  • La créativité est une interaction entre l’aptitude, le processus et l’environnement qui possède des caractéristiques nouvelles et utiles, qui sont définies dans un contexte social. J. Plucker, Beghetto et Dow, 2004
  • La créativité implique la production de produits nouveaux et utiles. Mumford, 2003
  • La créativité est basée sur un travail, des produits ou des idées qui sont nouveaux et utiles. Sternberg & Lubart, 1999
  • La créativité est le processus interpersonnel et intrapersonnel par lequel des produits originaux, de haute qualité et véritablement significatifs sont développés. Van Hook et Tegano, 2002
Doru Lupeanu

Auteur:
Doru Lupeanu

Directeur du marketing @KnowledgeOne. | Stratège. Scénariste. Transylvanien. Fan avide d’animes.