Pour réussir un parcours d’apprentissage, l’apprenant doit s’y engager, s’y investir pleinement. En contexte de formation en ligne, alors que chacun progresse dans son propre « espace-temps », le risque de se sentir isolé peut affecter la motivation nécessaire à la persévérance. Il existe pourtant des moyens de rendre la formation en ligne aussi engageante — sinon plus — que la formation en face à face traditionnelle. Mais dans un premier temps, il faut comprendre en quoi consiste « l’engagement ».

Un concept pluriel singulier

L’engagement est un concept familier en éducation. Puisqu’on s’y réfère souvent, on pourrait croire qu’il est clairement défini et que ses rouages sont bien compris. Ce n’est pourtant pas le cas. En réalité, il existe une grande diversité de théories qui tentent de l’expliquer et qui s’appliquent à des contextes souvent très spécifiques. Comme le constatent les auteurs de l’étude L’engagement et la persistance dans les dispositifs de formation en ligne : regards croisés, « l’engagement est une notion complexe, multidimensionnelle et multifactorielle, qui reste difficile à définir et à opérationnaliser ». Regrettant que « de nombreuses recherches sur l’engagement dans les dispositifs de formation se contentent d’une définition de sens commun, sans fondement théorique précis », ils se demandent si le temps n’est pas venu de disposer d’une définition plus globale qui soit valide dans des contextes variés.

Les chercheurs qui se sont penchés sur l’engagement en apprentissage s’entendent pour dire qu’il s’agit d’un état et d’un processus où plusieurs dimensions — cognitive, comportementale, émotionnelle et sociale (ou socio-affective) — interagissent entre elles. Les dimensions émotionnelle et sociale s’avèrent difficiles à mesurer, alors que la dimension comportementale notamment l’est moins, puisque des indices observables peuvent témoigner de la participation de l’apprenant, donc d’une forme d’engagement de sa part.

Notons enfin que les études sur l’engagement en contexte de formation en ligne sont encore peu nombreuses, mais que le sujet suscite de plus en plus l’intérêt. Malgré les manques — à combler, espérons-le, dans un avenir proche —, les ressources existantes peuvent à coup sûr nous aider à mieux saisir les ressorts de l’engagement et identifier des moyens de le dynamiser en formation en ligne.

Ses variables constantes

En dépit de la multitude de définitions de l’engagement en apprentissage, on s’entend sur le fait qu’il s’agit d’une forme d’investissement cognitif et émotionnel pouvant être vue à la fois comme un état et comme un processus qui fluctue dans le temps. À propos de cette fluctuation temporelle, certains y voient trois stades : engagement-désengagement-réengagement; alors que d’autres en distinguent quatre : début d’engagement-période d’engagement prolongé-désengagement-réengagement.

Pour les fins de leur étude, des chercheurs qui ont tenté de trouver une façon efficace de mesurer l’engagement en formation en ligne ont proposé la définition suivante : « L’engagement [en formation en ligne] implique des apprenants qu’ils consacrent temps et énergie à étudier le matériel éducatif et à développer des compétences, en démontrant qu’en apprenant, en ayant des interactions significatives avec les autres (suffisamment pour que ceux-ci deviennent en quelque sorte « réels »), et en ayant au minimum une certaine implication émotionnelle dans leur apprentissage (ex. : en étant enthousiastes à propos d’une idée ou en appréciant l’apprentissage et/ou l’interaction). L’engagement est fait d’attitudes, de pensées et de comportements individuels aussi bien que d’échanges avec les autres. » (traduction libre)

Précisons que plusieurs chercheurs reconnaissent comme étant distincts l’engagement dans un projet de formation — où plusieurs variables extérieures entrent en jeu : contenu, plateforme, contexte social, résultats attendus, etc. — et l’engagement dans l’acte même d’apprendre (Axelson et Flick, 2010; Bourgeois, 2011; Carré et al., 2001).

D’abord la motivation!

Pour en venir à s’investir dans un apprentissage, il faut être « motivé ». La motivation se définit comme un « processus psychologique responsable du déclenchement, du maintien, de l’entretien ou de la cessation d’une conduite. Elle est en quelque sorte la force qui pousse à agir et penser d’une manière ou d’une autre ». Ici encore, il y a consensus sur le fait que la motivation repose sur l’interaction de facteurs intrinsèques (ou internes) et extrinsèques (externes).

En simplifiant, on peut dire que les facteurs de motivation intrinsèques sont propres à l’individu, qu’ils se rapportent à la représentation qu’il se fait de lui-même et de la situation, au plaisir et à la satisfaction qu’il tire d’une activité, alors que les facteurs de motivation extrinsèques se réfèrent au contexte d’apprentissage, aux moyens qui peuvent l’inciter à atteindre un but. Si certains avancent que le moteur de l’engagement et de la réussite de l’apprentissage se trouve dans la motivation intrinsèque, d’autres voient la motivation extrinsèque comme étant tout aussi importante pour stimuler et soutenir la participation, en particulier en formation en ligne. Les résultats de l’étude Motivating factors in online courses attestent que les facteurs de motivation extrinsèques augmentent la motivation des étudiants dans un environnement de formation en ligne.

En fait, il existe une interaction en ces deux formes de motivations, que la théorie de l’autodétermination (TAD) notamment décrit comme un continuum d’autodétermination qui passe d’une régulation — d’un contrôle — externe (motivation extrinsèque) à une régulation interne (motivation intrinsèque). Selon cette théorie, plus l’individu perçoit que la situation lui permet d’être autonome et de faire des choix, plus son sentiment d’autodétermination — à décider par lui-même — est renforcé, ce qui favorise sa motivation intrinsèque. Plus l’apprenant est « autodéterminé » plus il se sent compétent, ce qui contribue à ce qu’il reste motivé et persévère dans son parcours d’apprentissage. C’est la motivation intrinsèque qui serait la plus « autodéterminée ».

Motivé de l’intérieur

Parmi les facteurs de motivation intrinsèques les plus importants se trouvent : la valeur que l’apprenant accorde à la tâche, le contrôle qu’il peut exercer sur son déroulement et sur ses conséquences, son sentiment d’efficacité personnelle, sa perception concernant ses chances de réussite et la qualité du défi que représente pour lui la tâche. Plus l’apprenant se sent en bonne posture ou stimulé sur ces différents plans, plus il devrait être motivé. Ces facteurs ressortent aussi dans les contextes de formations en ligne conçues comme des jeux sérieux.

Par ailleurs, plus l’apprenant se sent efficace, plus ses attentes de succès seront élevées, favorisant par le fait même sa motivation. Comme le précisent les auteurs de l’étude L’engagement et la persistance dans les dispositifs de formation en ligne : regards croisés, « la motivation, l’engagement et l’autorégulation ont entre eux des liens complémentaires ». L’autorégulation étant « le processus par lequel les [apprenants] maîtrisent leurs pensées, leur comportement et leurs émotions pour réussir à vivre pleinement des expériences d’apprentissage ».

Motivé par l’extérieur

Bien que les facteurs de motivation extrinsèques semblent moins influents que les facteurs intrinsèques, ils revêtent un grand intérêt pour la conception de formation en ligne puisqu’on peut agir directement sur eux. Parmi les facteurs de motivation extrinsèques qui ressortent comme étant les plus importants, on compte : le processus d’enseignement et d’apprentissage, le rôle du formateur et l’environnement de la formation en ligne.

En ce qui concerne ce dernier facteur, les études qui se sont penchées sur le jeu sérieux se révèlent particulièrement éclairantes, puisque « la qualité de l’expérience » est au cœur de ce type de formation, dont le caractère ludique vise à insuffler le goût de répéter l’expérience d’apprentissage. Il ressort donc de ces recherches que l’infrastructure technologique au sens large importe, mais aussi le caractère esthétique, sensoriel et stimulant, l’interactivité, la variété, la nouveauté, la présence de rétroactions, de même que la possibilité donnée à l’apprenant de ressentir un certain contrôle sur le déroulement de son apprentissage et sur sa gestion du temps. Fait à noter, l’étude intitulée What is User Engagement? A Conceptual Framework for Defining User Engagement with Technology arrive au même constat que deux autres études précédentes (Carroll and Thomas (1988) et Pausch et al. (1994)) à l’effet que l’engagement de l’apprenant tend à fléchir lorsque l’infrastructure technologique lui paraît soit trop difficile ou trop facile à utiliser.

Émotions et facteurs extrinsèques

En terminant, revenons sur le fait que l’engagement comporte plusieurs dimensions, dont une dimension émotionnelle qui s’avère déterminante pour la persistance et le réengagement. Si on associe d’emblée les facteurs de motivation intrinsèques à l’engagement émotionnel, ce n’est pas le cas pour les facteurs de motivation extrinsèques. Pourtant, ces facteurs sont aussi vecteurs d’émotions, positives ou négatives, sans oublier qu’ils sont ceux sur lesquels on peut intervenir directement dans la conception d’une formation. Il apparaît donc essentiel de porter une attention particulière à ces facteurs en concevant des formations en ligne qui susciteront les émotions qui, à leur tour, inciteront l’apprenant à persister dans son engagement.

« Je pense et je ressens,
donc je suis »

Les neurosciences viennent de jeter un nouvel éclairage sur le rapport entre cognition et émotion, deux composantes inhérentes à l’engagement. Alors qu’on a longtemps cru que ces systèmes étaient soit complètement distincts soit que l’un (la cognition) régulait l’autre (l’émotion), les dernières recherches indiquent plutôt que leur fonctionnement est intimement lié. Comme le résume le professeur et chercheur de l’Université de Sherbrooke Gerardo Restrepo dans son article Émotion, cognition et action motivée : une nouvelle vision de la neuroéducation, « le processus d’intégration des émotions et de la cognition se fait de façon progressive dans plusieurs structures du cerveau. L’intégration permet à ces deux sous-fonctions, séparées au départ, d’émerger pour bâtir une fonction plus complexe et générale ». Ainsi, les deux composantes seraient d’égale importance dans l’élan qui incite à l’action : « Émotion et cognition s’unissent pour former l’action motivée. L’émotion ne doit plus jamais être conçue comme système subordonné de la cognition ».

Un mot sur le flow…
et ses dérivés

 L’état de flow« flux » en français — désigne « un état psychologique de profond bien-être, de concentration et de motivation intenses, qui est atteint lorsqu’une activité constitue un défi perçu comme étant égal ou légèrement supérieur aux habiletés que l’on possède ».

Cet état qui s’accompagne d’un sentiment de parfaite maîtrise de l’action, aussi désigné comme l’émotion de l’expérience optimale, est « à la fois une des conséquences de l’engagement, et une des conditions majeures de la persistance, notamment via le désir (parfois même le besoin) d’un réengagement dans l’activité en raison du bien-être qu’elle procure en tant que telle ». Le concept qui a d’abord servi à expliquer l’état d’esprit de sportifs dans la victoire a par la suite été repris dans divers contextes.

L’EduFlow

Adapté au domaine de l’éducation, le concept d’EduFlow se déploie en quatre dimensions : le contrôle cognitif, l’immersion et l’altération de la perception du temps, l’absence de préoccupation à propos du soi et l’expérience autotélique. Ce dernier terme pouvant être compris comme une expérience qui est entreprise uniquement pour ce qu’elle est, pour le bien-être qu’elle procure.

L’absorption cognitive

Le concept du flow a aussi inspiré la théorie de l’absorption cognitive (AC) visant à décrire l’immersion dans les contextes d’usage d’interfaces électroniques.

Utilisée par la suite pour évaluer l’immersion dans les jeux sérieux, l’AC est décrite par les chercheurs comme « l’une des variables fondamentales du rapport au savoir, de la motivation à apprendre et surtout de la persistance à vouloir comprendre ».

Catherine Meilleur

Auteure:
Catherine Meilleur

Rédactrice de contenu créatif @KnowledgeOne. Poseuse de questions. Entêtée hyperflexible. Yogi contemplative.