Le terme « engagement » revient souvent lorsqu’il est question d’apprentissage. Il s’agit d’une notion complexe, multidimensionnelle et multifactorielle qui fait l’objet d’une grande diversité de théories. À des fins pratiques, nous nous concentrerons ici sur l’engagement en tant qu’implication personnelle et persévérance nécessaires à l’apprenant tout au long de son parcours, et plus spécifiquement sur les stratégies d’enseignement qui le favorisent. Quel que soit le mode d’apprentissage, stimuler et soutenir l’engagement est primordial, mais en formation en ligne ce facteur doit faire l’objet d’une attention particulière, puisque l’apprenant qui se retrouve seul devant son écran est plus à risque de se sentir laissé à lui-même et de se démotiver. En faisant appel aux connaissances neuroscientifiques, voici quelques principes et stratégies à connaître pour inciter les apprenants à rester pleinement engagés du début à la fin de leur formation.

Plonger dans l’engagement « actif »

L’engagement actif est le deuxième des quatre piliers de l’apprentissage mis en lumière par le psychologue spécialisé en neuropsychologie Stanislas Dehaene, le premier pilier étant l’attention, le troisième, le retour d’information, et le quatrième, la consolidation. Pour Dehaene (2018), l’engagement actif consiste à « maximiser la curiosité et la prédiction active ». Dans l’engagement actif, l’apprenant est acteur de son apprentissage et il mobilise le plus possible l’ensemble de ses habiletés cognitives.

« Lorsqu’il est actif, l’enfant ou l’adulte effectue des prédictions, réfléchit à une réponse, l’anticipe avant qu’elle ne lui soit apportée. Ainsi, les situations où l’élève [ou l’étudiant] est surpris par une réponse ou un résultat qu’il n’attendait pas favorisent les apprentissages. En outre, lorsqu’il représente un défi personnel, une émotion, il parvient plus facilement à inhiber ses automatismes (heuristiques) qui l’induisent en erreur (Houdé et al., 2001, pour une démonstration en imagerie cérébrale). L’action, le tâtonnement et les émotions jouent donc des rôles importants dans les apprentissages », explique le spécialiste du développement cognitif et de l’apprentissage, Olivier Houdé, dans son ouvrage « L’école du cerveau ».

Stratégies :

  • Stimuler la curiosité, par exemple, en proposant un jeu-questionnaire sur la matière qui sera abordée et pour lequel chaque apprenant doit répondre (via une plateforme en ligne, par exemple).
  • Plonger les apprenants dans le vif du sujet en leur soumettant des mises en situation dans lesquelles ils pourront eux-mêmes résoudre des problèmes.
  • S’assurer que la tâche comporte un certain défi — si possible un défi qui touche les apprenants personnellement —, qu’elle ne soit ni trop facile (pas d’erreurs) ni trop difficile (trop d’erreurs et pas assez de réussite pour ancrer la curiosité et le progrès).
  • Créer un climat propice à l’engagement actif en donnant de l’espace pour l’émergence des réactions émotionnelles, en incitant les apprenants à s’appuyer sur leur bagage de connaissances ainsi qu’à suivre leurs intuitions, tout en valorisant explicitement le droit à l’erreur.
  • Donner un retour d’information précis et détaillé, et corriger les erreurs après l’exercice afin que des leçons soient tirées. En apprentissage en ligne, programmer une rétroaction dans les jeux-questionnaires, les sondages et les simulations interactives.
  • Favoriser un état d’esprit dynamique chez les apprenants en formulant des rétroactions conséquentes avec l’idée que tous sont en mesure de s’améliorer, le cerveau étant doté de plasticité. Le type de rétroaction le plus porteur est celui qui présente la réussite comme un processus impliquant à la fois des efforts et des stratégies d’étude efficaces, deux facteurs sur lesquels l’apprenant peut avoir un contrôle (voir Neurosciences : 3 erreurs à éviter lorsqu’on étudie et 10 techniques d’étude et leur efficacité).
  • Proposer une discussion sur les réflexions que l’exercice a suscitées.
  • En apprentissage en ligne, les contenus multimédias (audios, vidéos et animations) peuvent être particulièrement stimulants tout en étant plus inclusifs puisqu’ils élargissent l’accessibilité des contenus. Incorporer des éléments de jeu comme du pointage, des niveaux et des badges rend l’apprentissage plus ludique et gratifiant, ce qui active les circuits cérébraux de la récompense.

Devenir incitateur d’émotions

De nombreuses études neuroscientifiques ont démontré l’interdépendance des émotions et de la cognition ainsi que l’importance des émotions dans la pensée rationnelle (Green, Sommerville, Nystrom, Darley, et Cohen, 2001; Haidt, 2001; Immordinao-Yang, 2008). On doit en grande partie à Antonio Damasio, médecin, professeur de neurologie, neurosciences et psychologie luso-américain, d’avoir défriché ce terrain (1995, 1999, 2017). À la fin du chapitre « Le rôle de l’émotion et de l’intuition habile dans l’apprentissage » du livre intitulé « Les émotions, l’apprentissage et le cerveau : explorer les implications éducationnelles des neurosciences affectives », Mary Helen Immordino-Yang, qui est professeure associée en éducation, psychologie et neurosciences, et le chercheur en neuropsychologie, Matthias Faeth, nous invitent à mettre nos approches pédagogiques à jour en fonction de ces nouvelles données :

« […] une grande partie des pratiques d’enseignement contemporaines considèrent l’émotion comme accessoire, voire comme une entrave à l’apprentissage. Dans ce chapitre, nous avons discuté du rôle essentiel des émotions dans l’apprentissage et montré que l’accumulation par les étudiants de signaux émotionnels subtils guide leur apprentissage significatif, en les aidant à construire un ensemble d’intuitions académiques sur la manière, le moment et la raison d’utiliser leurs nouvelles connaissances. Plutôt que d’essayer d’éliminer les émotions du contexte d’apprentissage, les enseignants peuvent utiliser cette perspective neuroscientifique pour orchestrer activement un climat émotionnel dans la salle de classe qui soit propice à la perception de ces signaux émotionnels subtils. Au fur et à mesure que les étudiants apprennent à remarquer et à affiner ces signaux, leur apprentissage devient plus pertinent et significatif et, en fin de compte, plus généralisable et utile dans leur vie. »

L’« intuition » à laquelle font références les neurosciences renvoie à « l’incorporation d’un signal émotionnel non conscient dans la connaissance en cours d’acquisition ». Ces intuitions « académiques » ou « habiles », intègrent les réactions émotionnelles de l’apprenant à son traitement cognitif tout en intégrant ce qui a été appris par l’expérience. Comme le notent Immordino-Yang et Faeth, « pour que l’émotion soit utile, elle doit faire partie intégrante de la connaissance du moment et de la manière d’utiliser la compétence en cours de développement ».

Stratégies :

  • Il est primordial d’instaurer un environnement agréable qui favorise la sécurité relationnelle. L’humour et le jeu peuvent servir à cet effet s’ils sont maniés avec doigté (voir 3 conseils pour intégrer l’humour à l’enseignementet 5 conseils pour intégrer le jeu en enseignement supérieur).
  • Ce climat positif doit être entretenu tout au long du cours, mais l’enseignant doit maintenir un équilibre, car l’humour et le jeu peuvent induire chez les apprenants des états émotionnels non liés à la tâche. De la distraction, de la surexcitation ou de l’anxiété, par exemple, sont susceptibles d’interférer avec la capacité à ressentir les signaux émotionnels qui guident le développement de nouvelles connaissances. Par ailleurs, plus les apprenants maîtrisent des compétences émotionnelles, moins il devient nécessaire de recourir à des activités émotionnellement non pertinentes pour la tâche.
  • Pour favoriser un apprentissage significatif qui intègre les émotions, Immordino-Yang et Faeth recommandent de permettre aux apprenants de développer un lien émotionnel avec le matériel d’apprentissage. Leur laisser le choix du sujet à traiter ou les impliquer dans la conception de l’exercice est une manière d’encourager l’émergence d’un sentiment d’appartenance vis-à-vis de la matière, et de les aider à mieux saisir le but de l’exercice. On peut aussi opter pour un sujet ou un angle en lien avec leurs réalités et intérêts, ou encore proposer la résolution de problèmes ouverts, qui donne un maximum d’espace à « leur connaissance intuitive de la pertinence, de la familiarité, de la créativité et de l’intérêt pour le processus (Albin, 2008) ». Les travaux de groupes, de projets ou de portfolios s’avèrent aussi de bons choix, même s’ils exigent en général plus de directives de l’enseignant.
  • Pour favoriser un apprentissage significatif qui intègre les émotions, il est aussi nécessaire selon Immordino-Yang et Faeth d’encourager les apprenants à développer leurs propres intuitions habiles pour résoudre les problèmes ou compléter les activités proposées. À cet effet, il est essentiel de leur donner l’occasion d’expérimenter et de leur conférer l’espace pour ressentir ces intuitions qui portent sur la manière et le moment d’utiliser le matériel académique. Ils doivent pouvoir se questionner, seuls et en groupes — « L’utilisation de cette procédure mathématique est-elle justifiée dans ce cas? Est-ce que je me rapproche de la bonne solution? », etc.
  • Il est important de savoir qu’en apprentissage en ligne, même lorsque la séance n’implique aucune interaction humaine, l’apprenant est susceptible d’interagir avec son ordinateur sensiblement de la même manière qu’il le ferait dans tout contexte d’apprentissage avec ses congénères. C’est pourquoi il est primordial de repenser la conception pédagogique en ligne à l’aulne des dernières découvertes en neurosciences, notamment affectives et sociales (voir L’apprentissage numérique sous l’angle des neurosciences affectives et sociales).

Favoriser la dimension sociale de l’apprentissage

Aucun apprentissage ne se réalise dans le vide, ils se déroulent tous dans un contexte social et culturel (Fischer et Bidell, 2006) — y compris en ligne —, et les neurosciences nous éclairent désormais aussi à cet effet, comme le soulignent Mary Helen Immordino-Yang et Matthias Faeth :

« Le message des neurosciences sociales et affectives est clair : nous ne pouvons plus penser que l’apprentissage est séparé ou perturbé par les émotions, et nous ne pouvons plus nous concentrer uniquement sur le niveau de l’étudiant individuel pour analyser les bonnes stratégies d’enseignement en classe. Les étudiants et les enseignants interagissent socialement et apprennent les uns des autres d’une manière à laquelle on ne peut rendre justice en examinant uniquement les aspects cognitifs froids des compétences académiques. Comme d’autres formes d’apprentissage et d’interaction, l’acquisition de connaissances académiques implique l’intégration de l’émotion et de la cognition dans un contexte social. Les compétences académiques sont chaudes, et non pas froides! »

L’enseignant exerce une influence notable sur sa classe, non seulement par ses choix de contenus, mais aussi par sa manière d’enseigner et d’interagir avec les apprenants. Vous connaissez peut-être l’effet Pygmalion, et son pendant, l’effet Golem, qui sont de bons exemples de la force de cette influence… Du côté des neurosciences, certains des mécanismes biologiques fondamentaux de l’apprentissage social ont été mis au jour (Frith et Frith, 2007; Mitchell, 2008), de même que le rôle clé des émotions sociales. On sait désormais entre autres que l’empathie est le mécanisme grâce auquel l’apprenant parvient à décoder les actions de l’enseignant (voir L’apprentissage numérique sous l’angle des neurosciences affectives et sociales).

Il a par ailleurs été démontré que l’enseignement peut bénéficier d’un surcroît d’empathie dans la relation pédagogique (Poirier, 2013; Cooper, 2011; Gribble et Oliver, 1973; Washburn 2008). Plus précisément, une pédagogie de l’empathie a montré des bienfaits non seulement sur la motivation et l’engagement dans l’apprentissage, mais aussi sur le sentiment de confiance, le plaisir d’étudier, l’éclosion et le renforcement d’un lien entre l’enseignant et ses apprenants, la création d’un environnement d’apprentissage positif, le développement d’un sentiment d’appartenance au groupe, la valorisation de l’apprentissage ainsi que la réussite pédagogique (Poirier, 2013; Fuller, 2012; Fuller, 2012; Holmberg, 1995, 1999, 2003) (voir La formation en ligne en mode empathique).

Notons enfin qu’une recherche (Dikker, 2017) qui a pour la première fois mesuré l’activité cérébrale en conditions réelles d’un groupe d’étudiants en classe a démontré que plus ceux-ci appréciaient le cours et la pédagogie de leur professeur, plus leurs cerveaux mobilisaient les mêmes ondes aux mêmes moments, qu’ils étaient synchrones. Pour Olivier Houdé, cette étude confirme non seulement les vertus du travail de groupe, mais aussi le fait qu’un enseignant qui remporte l’adhésion de ses étudiants est « un véritable chef d’orchestre neuronal ».

Stratégies :

  • Être au fait des différents biais cognitifs les plus courants en éducation (voir Biais cognitifs en éducation : l’effet Pygmalion et 3 biais cognitifs à connaître en éducation).
  • Faire une place de choix au travail de groupes en optant pour le mode d’apprentissage le plus approprié (voir Apprentissage collaboratif ou coopératif?). L’objectif pédagogique de l’apprentissage coopératif est de faire en sorte que chacun apprenne un contenu prévu, structuré et imposé tout en améliorant ses aptitudes de collaboration. L’apprentissage collaboratif de son côté vise à aider l’apprenant à atteindre un but commun partagé ainsi que des objectifs personnels, en plus de lui permettre d’apprendre « à sa façon »; tout cela en explorant, en découvrant ou en développant un contenu ou une structure. L’apprentissage collaboratif, plus souple et qui convient bien aux adultes, exige plus d’autonomie et de contrôle de la part de l’apprenant, qui prend davantage de décisions et assume plus de responsabilités. Il s’agit d’une démarche activepar laquelle chacun travaille à construire ses connaissances et dont l’un des bienfaits collatéraux est de permettre de développer des compétences relationnelles fortes (pour des conseils détaillés, voir L’apprentissage collaboratif : guide pratique).
  • Privilégier une approche empathique dans son enseignement, dans l’écoute, mais aussi dans l’action, en présentiel comme en ligne. Dans l’action, cela se traduit entre autres en effectuant de nombreuses vérifications du cheminement de chaque apprenant durant le cours; en privilégiant les échanges fréquents, en continu, centrés sur une seule difficulté à la fois; et en donnant des rétroactions rapides et claires sur les examens et travaux notés (Poirier, 2013). La rétroaction doit être détaillée et personnalisée. Elle doit avoir comme objectif d’expliquer les erreurs à l’apprenant, mais aussi de le motiver à travailler plus fort, à s’améliorer et à réussir son cours.

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Plusieurs stratégies peuvent ainsi être déployées pour aider les apprenants à rester engagés tout au long de leur parcours de formation et atteindre leurs objectifs. Pour un maximum d’efficacité, il est judicieux d’agir sur plusieurs fronts, et comme vous l’aurez compris, les différents leviers convergent tous vers l’importance de mettre l’action, les émotions et la dimension sociale au cœur de nos approches pédagogiques. Il ne reste plus qu’à faire preuve d’ouverture et de créativité pour les intégrer et les adapter au contexte de chaque formation, puis de constater les bienfaits qu’elles peuvent avoir sur l’implication personnelle et la persévérance de nos apprenants.

Sources :

  • Immordino-Yang, Mary Helen; Singh, Vanessa, “The Role of Emotion and Skilled Intuition in Learning”, dans Emotions, Learning, and the Brain: Exploring the Educational Implications of Affective Neuroscience, New York, W.W. Norton & Company Inc., p. 93-105, 2016.
  • Houdé, Olivier, « L’école du cerveau : De Montessori, Freinet et Piaget aux sciences cognitives », Collection Le livre de poche. Document, LE LIVRE DE POCHE, 184 pages, 2021.

Note : Les citations ont été traduites en traduction libre

Catherine Meilleur

Auteure:
Catherine Meilleur

Stratège en communication et Rédactrice en chef @KnowledgeOne. Poseuse de questions. Entêtée hyperflexible. Yogi contemplative

Catherine Meilleur possède plus de 15 ans d’expérience en recherche et en rédaction. Ayant travaillé comme journaliste, vulgarisatrice scientifique et conceptrice pédagogique, elle s’intéresse à tout ce qui touche l’apprentissage : de la psychopédagogie aux neurosciences, en passant par les dernières innovations qui peuvent servir les apprenants, telles que la réalité virtuelle et augmentée. Elle se passionne aussi pour les questions liées à l’avenir de l’éducation à l’heure où se pointe une véritable révolution, propulsée par le numérique et l’intelligence artificielle.