Nous avons rencontré Olivier Palmieri, directeur de L’Atelier XR et directeur de Jeu chez Ubisoft Montréal, pour discuter de réalité virtuelle et de réalité augmentée, notamment de leurs derniers développements et de leurs applications actuelles et à venir comme outils d’apprentissage. Voici le troisième entretien de la série.

M. Palmieri œuvre dans l’industrie du jeu vidéo depuis plus de 20 ans. Il a travaillé sur divers projets dont la série Rayman, Ghost Recon, Assassin’s Creed et Far Cry. Il est le créateur du premier jeu de réalité virtuelle publié par Ubisoft, Eagle Flight, qui a remporté un prix D.I.C.E. 2017 pour sa réalisation technique en réalité immersive.

Longtemps perçue comme une technologie de niche hors de portée du commun des mortels, la réalité virtuelle (RV ou plus couramment VR) tente depuis quelques années de se démocratiser. Certains grands joueurs du marché, dont Google avec son Cardboard, ont tenté de l’amener au plus bas coût possible. En parallèle, les modèles haut de gamme, dont l’évolution rapide impressionne, continuent de se vendre plusieurs centaines de dollars. Un tel écart de prix a de quoi laisser le profane perplexe…  

Il se vend des casques de VR à 15 dollars. Que faut-il en penser?

Ça s’inscrit un peu dans la problématique des compagnies qui se sont mises à créer toutes sortes de matériels différents pour sortir du lot et tenter de rafler le marché. Certaines ont essayé de faire du premier prix. Avec le Google Cardboard à 10-15 dollars la VR est devenue très abordable… Est-ce que ça a été bénéfique? Est-ce que ça a été néfaste? Peut-être que ça a aidé à la démocratiser un peu, à faire comprendre ce que c’était. Mais en même temps, il y a des consommateurs qui ont pu tester un casque en carton et se dire « Ah c’est ça la réalité virtuelle, c’est un truc en carton qui ne fonctionne pas très bien… » Bien oui, en effet, ça ne fonctionne pas nécessairement bien, puisque c’est un casque en carton à 10 dollars! Donc, je pense que ça fait du bien et du mal.

Cela dit, on s’éloigne de plus en plus de cette problématique notamment parce des casques de meilleure qualité, moyen de gamme, aux alentours de 300 dollars commencent à arriver sur le marché, et qu’éventuellement les prix vont sûrement encore baisser. Il faut tout de même se rendre compte que dans un casque de VR il y a beaucoup de technologie : il y a la capture de mouvements, la performance, les affichages, etc. Même que d’arriver à concevoir un casque à 300 dollars, c’est tout un challenge!

Et il y a tout dans ces casques-là?

Oui. Aujourd’hui, il y a encore des casques qui ne comprennent que les mouvements de rotation de la tête, qui ne décodent pas les mouvements de déplacement dans l’espace. Mais justement, les casques qui vont sortir en 2019, ceux de la génération 2, vont être des casques mobiles, autonomes, tout intégrés, qui vont comprendre le déplacement dans l’espace et qui vont aussi avoir des manettes pour pouvoir décoder les mouvements des mains. C’est ce qui s’en vient en 2019 et à un prix abordable.

Ce qui est un peu frustrant pour l’industrie c’est que les gens trouvent raisonnable d’acheter un téléphone à 800 ou 1 000 dollars, mais qu’ils trouvent que 300 dollars pour un casque de VR c’est trop cher. Il y a énormément de technologie dans ces casques-là… c’est très avancé.

Est-ce qu’on peut espérer dans un avenir proche voir les meilleurs casques se vendre moins de 300 dollars?

Je ne sais pas si un jour on aura vraiment des casques à 100 dollars. Peut-être qu’on ne veut pas descendre les prix aussi bas, parce que c’est comme un téléphone : il y en a à 50 dollars, mais il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils nous donnent la même expérience qu’un modèle haut de gamme à 800 dollars. Aujourd’hui, déjà, les casques moyen de gamme qui vont sortir sont très bien. Il y a un prix minimum à payer pour vivre une expérience de VR complète qu’on n’aurait pas avec un casque à 50, 20 ou 15 dollars.

On pourrait croire que les casques de réalité virtuelle se vendent de moins en moins, mais il y a vraiment eu un bond dans les ventes à la fin de 2018, plus fort que par le passé. Il s’en est vendu plus pendant ce trimestre-là que durant n’importe quel autre trimestre auparavant. Les casques qui se sont le plus vendus c’est l’Oculus Go, donc ce casque autonome d’Oculus à 300 dollars, et le PlayStation VR. Les autres casques aussi continuent de se vendre, et ils se sont vendus davantage. Disons que pour Noël 2019 les prévisions de ventes pour les casques de deuxième génération sont très bonnes.

Est-ce que ça va finir par être abordable et judicieux pour les PME d’adopter la VR pour former leur personnel?

Oui! Il y a un bon nombre d’entreprises de réalité virtuelle qui travaillent pour faire en sorte que cette technologie soit accessible à tous les niveaux aux petites et moyennes entreprises, par le prix du matériel ou sa facilité d’utilisation. Aujourd’hui, il y a déjà des casques mobiles à la technologie limitée, mais avec les casques autonomes qui vont sortir cette année on n’aura pas besoin d’ordinateur ni de quoi que ce soit d’autre. Tout sera là, intégré dans ces casques moyen de gamme.

Sur le plan de l’accès du matériel, je pense qu’on va vers une démocratisation. Au niveau des ordinateurs qu’on utilise pour créer les expériences de VR, on va dans ce sens, parce qu’il y a quatre ans, il fallait vraiment des machines très puissantes qui coûtaient cher : 2 000 dollars au minimum. Aujourd’hui, les machines deviennent de plus en plus performantes, et une machine à 800 dollars peut à la fois faire « tourner » les expériences ou permettre de les fabriquer.

Pour ce qui est de la partie logicielle, il y a aussi de plus en plus d’outils simplifiés pour la VR ou la réalité augmentée qui commencent à naître. En AR, Apple et Android ont publié leurs kits ARCore et ARkit pour permettre à davantage de gens de concevoir des applications.

En réalité virtuelle, il y a aussi plusieurs compagnies qui travaillent sur des outils simplifiés pour faire du dessin, de l’architecture, mettre en place des éléments pour que cette technologie devienne plus facile d’accès et plus simple à utiliser pour toutes les entreprises.

Quand est-ce que la VR pourrait devenir un outil de formation largement utilisé en entreprise?

Il y a déjà des entreprises qui ont osé s’intéresser tôt à ce marché, et qui ont bien fait! L’année dernière, l’entreprise Walmart a annoncé qu’elle avait acheté 17 000 casques Oculus Go, des casques mobiles à 300 dollars pour former ses employés. Ils en ont acheté 17 000… quand même! Ce matin encore, je voyais des news d’entreprises qui se lancent dans l’apprentissage en VR, en AR, ce qu’on appelle la « XR » en fait et qui regroupe toutes ces technologies. Ce n’est pas encore un énorme marché, sauf que c’est aujourd’hui qu’il y a des places à prendre!

Mais ces casques ne seront-ils pas désuets dans 2-3 ans?

Oui, mais je pense que c’est une première étape, c’est un premier pas dans l’adoption de la VR. C’est toujours la question de savoir quand est-ce qu’on y va, est-ce qu’on y va pas trop tôt… Mais si on ne se lance pas au bon moment, tout le monde nous aura dépassé. Je pense que la AR et la VR vont être de nouveaux outils pour l’e-learning.

Les entreprises qui recourent à la VR pour la formation en voient-elles les bénéfices?

Il faudrait creuser vraiment plus et le demander à chaque entreprise. Je ne veux pas parler au nom des autres entreprises, mais je vois beaucoup d’articles, beaucoup d’écoles, de formations, d’outils et nombre de compagnies qui se lancent petit à petit dans l’utilisation de la VR en formation. Microsoft et Oculus, par exemple, veulent se rapprocher de plus en plus du côté éducation. En fait, ces compagnies qui font de la VR, quand je communique avec elles, je les entends beaucoup parler depuis un an d’éducation. Elles croient très fort au fait que l’éducation deviendra l’un des gros marchés d’avenir de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée.

Catherine Meilleur

Auteure:
Catherine Meilleur

Rédactrice de contenu créatif @KnowledgeOne. Poseuse de questions. Entêtée hyperflexible. Yogi contemplative.