La mémoire est cette fonction cérébrale essentielle qui nous permet de développer un sentiment de soi, d’emmagasiner des souvenirs, de raisonner, de comprendre, et bien sûr d’apprendre. On en parle au singulier, mais il serait plus juste de l’évoquer au pluriel. Nous savons en effet maintenant qu’elle se compose de différents systèmes qui, bien qu’en constantes interrelations, sont distincts et autonomes de par la nature des informations qu’ils emmagasinent et des réseaux cérébraux auxquels ils font appel. Voici un aperçu de 8 facettes de notre fascinante mémoire!

Mémoires bien connues

Nous connaissons tous les concepts de mémoires à court et à long termes, que la psychologie cognitive nous présente depuis longtemps comme nos deux grands types de mémoires temporelles. Au fil du temps, notre connaissance sur ces deux mémoires s’est raffinée et on en sait maintenant un peu plus sur leur fonctionnement, notamment grâce aux neurosciences (voir L’éducation à travers les neurosciences et Fascinant cerveau : 5 faits étonnants). Revenons sur ces deux modèles de base.

  1. Mémoire à court terme

Parfois appelée « mémoire de travail » (voir le point 4), la mémoire à court terme est faite pour conserver et récupérer de façon temporaire – à l’intérieur de moins d’une minute – de l’information en cours de traitement. C’est elle qui nous permet de retenir, par exemple, un nom, un numéro ou une liste d’éléments.

  1. Mémoire à long terme

La mémoire à long terme peut conserver une quantité illimitée d’informations sur une période allant de quelques heures jusqu’à une vie entière. Elle englobe la mémoire de faits récents, toujours en traitement, ainsi que celle des souvenirs consolidés, qui peuvent, précisons-le, aussi être oubliés. La mémoire à long terme repose sur 3 grands processus chronologiques :

  • L’encodage : C’est le traitement des informations provenant de nos sens afin qu’elles soient mises en mémoire.
  • Le stockage (consolidation) : Il correspond au maintien dans la durée de l’information apprise après avoir été suffisamment répétée par le cerveau.
  • Le rappel (récupération) : C’est un processus qui permet d’extraire une information de la mémoire au moment opportun; le rappel peut être conscient ou non, spontané (libre) ou facilité (ou « indicé », soit facilité par des indices).

Elle peut aussi être qualifiée d’explicite (déclarative), lorsqu’elle renvoie à des souvenirs que l’on peut nommer, ou d’implicite (non-déclarative), lorsque ces souvenirs ne se verbalisent pas et que leur rappel se fait automatiquement – savoir rouler à vélo, par exemple. Enfin, la mémoire à long terme se subdivise en plusieurs sous-types de mémoires (voir les points 5 à 8).

Voici 4 facteurs qui peuvent influencer le fonctionnement de la mémoire :

  1. Le degré d’attention, de vigilance, d’éveil et de concentration.
  2. L’intérêt, la motivation, le besoin ou la nécessité.
  3. L’état émotionnel et la valeur affective attribuée au matériel à mémoriser.
  4. L’environnement dans lequel a lieu la mémorisation (l’endroit, l’éclairage, les bruits, les odeurs, etc.), qui s’enregistre en même temps les données à mémoriser.

Premières mémoires

  1. La mémoire sensorielle (ou perceptive) : celle qui filtre

La mémoire sensorielle représente en quelque sorte la première étape du traitement de l’information à mémoriser : c’est un filtre par lequel passent tous ces stimuli en provenance de l’extérieur par le biais de nos sens (la vue, l’audition, le toucher, l’odorat et le goût).

Pour éviter d’être submergée, cette mémoire – qui ne requiert pas notre attention! – doit faire son tri et se vider hyperrapidement. Pour vous donner une idée, du seul sens de la vue, notre cerveau reçoit chaque seconde l’équivalent de 1 Mb d’information, ce qui correspond à lire une encyclopédie en entier par minute. Le temps de rétention de l’information dans la mémoire sensorielle oscille de quelques centaines de millisecondes à une ou deux secondes. Sans entrer dans les détails, mentionnons que le processus qui se met ici en branle s’appelle la « transduction sensorielle » : les récepteurs sensoriels transforment l’énergie – chimique ou physique, selon le type de récepteur propre à chaque sens – des stimuli en signaux électriques (influx nerveux). À ce stade, on ne parle pas encore de la mémoire des sens telle que décrite par Marcel Proust (voir l’encadré Les Petites Madeleines ou la mémoire des sens) qui requiert un niveau plus avancé d’intégration de l’information.

L’information, sous forme de signaux électriques, suit différentes voies pour activer certaines régions du cerveau et être interprétées en conséquence. L’information jugée pertinente est ensuite encodée – traitée pour être mise en mémoire – puis transmise à la mémoire à court terme, une mémoire plus stable, pour éventuellement passer dans la mémoire à long terme. Puisque chaque sens possède son propre système, son propre circuit lié chacun à une aire spécifique du cortex cérébral, on peut parler de mémoires visuelle, auditive, olfactive, gustative et tactile.

La mémoire sensorielle n’est donc pas circonscrite à une seule région du cerveau, mais interconnectée aux autres mémoires, dont elle participe au bon fonctionnement. En enregistrant aussi les émotions et sensations liées aux informations sensorielles perçues, cette mémoire permet non seulement de reconnaître notre environnement, mais contribue à donner du sens à des événements à venir.

  1. La mémoire de travail : celle qui jongle avec l’immédiat

La mémoire de travail est un concept actualisé de la mémoire à court terme. On sait maintenant, grâce aux neurosciences, que la mémoire « à court terme » ne fait pas que retenir temporairement de l’information nouvelle avant que celle-ci aboutisse dans la mémoire à long terme. Elle se charge aussi de la traiter et de la manipuler dans des processus comme le raisonnement, la compréhension et l’apprentissage.

Cette mémoire aussi dite « immédiate » comprend plusieurs systèmes indépendants qui permettent l’exécution de diverses tâches en simultané et implique un dialogue entre trois zones du cerveau : le cortex préfrontal, les champs oculaires frontaux et la zone intrapariétale latérale. Nous ne pourrions mémoriser de manière consciente que 4 ou 5 éléments. Récemment, des chercheurs ont découvert que lorsque la mémoire de travail est surchargée, les échanges entre les trois régions du cerveau impliquées sont alors court-circuités.

Mémoires à long terme

  1. La mémoire procédurale (ou motrice) : celle qui a de bons réflexes

La mémoire procédurale est une mémoire implicite (non-déclarative) qui nous permet d’effectuer des tâches ordinaires sans avoir à penser : manger, lacer ses chaussures, monter à vélo, etc. C’est la mémoire des habiletés motrices et des savoir-faire. Puisqu’elle est faite d’automatismes sensorimoteurs très bien assimilés, cette mémoire est dite « inconsciente ».

  1. La mémoire épisodique : celle qui a du vécu

La mémoire épisodique permet de se rappeler de souvenirs vécus personnellement dans un contexte donné – dans tel lieu, à tel moment, avec telle personne, etc. – avec ses détails perceptivo-sensoriels (émotions, perceptions, odeurs, etc.). Elle se distingue en particulier des autres types de mémoires par le fait que l’individu se perçoit comme l’acteur ayant vécu les événements. Cette capacité mnésique, qui serait la plus complexe que nous possédons, comprend aussi la faculté de faire des liens situés dans le temps et dans l’espace entre les divers événements vécus.

La qualité de l’encodage des souvenirs par la mémoire épisodique est par ailleurs grandement influencée par l’intensité des émotions ressenties lors de l’événement. Ce type de mémoire est celui qui est le plus affecté par les troubles mnésiques.

  1. La mémoire sémantique : celle qu’on a sur le bout de la langue

Mémoire de références, elle emmagasine et classe les connaissances d’ordre général sur soi – on parle alors de « mémoire personnelle sémantique » – et sur le monde qui nous entoure : du sens des mots aux faits de type encyclopédiques, en passant par les règles et concepts qui nous permettent de nous représenter le monde « dans notre tête ». Contrairement à la mémoire épisodique, elle est indépendante du contexte spatio-temporel dans lequel les souvenirs sont acquis.

  1. La mémoire autobiographique : celle qui construit notre identité

La mémoire autobiographique a longtemps été confondue avec la mémoire épisodique. Bien qu’il existe un lien entre les deux et que leur interrelation doit encore être éclaircie, le concept de mémoire autobiographique est beaucoup plus large que celui de mémoire épisodique. En fait, il s’agit d’un modèle « hybride » comprenant à la fois une composante sémantique et épisodique.

Cette mémoire enregistre donc des informations d’ordre général sur soi, sans référence à un contexte donné – notre état civil, le nom de nos proches, etc. – et des souvenirs uniques propres à soi – des événements vécus situés dans le temps et dans l’espace accompagnés de leurs détails perceptivo-sensoriels. La construction, au fil du temps, de notre sentiment d’identité et de continuité relève principalement de cette mémoire autobiographique.

Les Petites Madeleines ou la mémoire des sens

« (Ma mère) envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi […]. »

« Et tout d’un coup, le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray […] ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. »

« (Q)uand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sous leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. »

Extrait de : Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, tome 1 : Du côté de chez Swann, 1913.

À la recherche du temps perdu

Des intuitions de Proust déclenchées par ses Petites Madeleines aux plus récentes découvertes neuroscientifiques, en passant par les avancements de la psychologie, nous disposons de nombreuses pièces pour recomposer le casse-tête de notre mémoire… en partie du moins. C’est qu’elle se garde encore de nous dévoiler tous ses mystères. Et si nous parvenons un jour à en déchiffrer tous les codes, il y a fort à parier que cette fabuleuse machine, qui nous permet rien de moins que d’avoir été, d’être et de devenir, ne cessera jamais de nous fasciner.

Fascinantes découvertes

Pour mémoriser : respirez par le nez!

Notre façon de respirer de même que la phase de respiration (inspiration ou expiration) ont un impact sur notre mémoire. C’est l’étonnant constat d’une étude américaine publiée en 2016.

On connaissait déjà l’oscillation olfactive, ce phénomène qui fait en sorte que les neurones du système olfactif s’activent lorsque l’air entre dans le nez grâce aux récepteurs se trouvant au bout des poils nasaux. On savait aussi qu’il existait quatre types d’oscillations olfactives dont certaines associées à l’apprentissage et à la mémoire.

Ce que l’étude de 2016 a mis en lumière c’est le fait que les informations sont mieux stockées si, au moment où l’on prend connaissance des informations à mémoriser, on inspire par le nez. L’expiration par le nez de même que la respiration par la bouche (inspiration et expiration) n’ont pas ce même effet, puisque c’est l’entrée de l’air par les narines qui permet les oscillations olfactives.

Des souvenirs transmis par les gènes

Votre ADN pourrait bien contenir la mémoire de vos ancêtres, et ce n’est pas une figure de style! C’est ce que portent à croire des expériences menées sur des rongeurs à l’Université Emory dont les résultats sont parus en 2013 dans la revue Nature Neuroscience. Dans le cadre de ces travaux, les souris étaient entraînées à développer la peur d’une odeur proche de celle des cerisiers. Un entraînement à la suiteduquel les chercheurs ont remarqué des modifications à l’intérieur des spermatozoïdes des rongeurs : une partie de l’ADN jouant un rôle dans la sensibilité de l’odorat aux cerises était devenue plus active.

Les souris ont ensuite été accouplées. Leurs rejetons, de première et de seconde générations, ont fait montre d’une sensibilité marquée à cette odeur, les incitant à l’éviter, alors qu’ils n’avaient jamais été exposés à aucune expérience traumatisante en lien avec celle-ci. Les chercheurs, qui ont également observé des modifications dans la structure du cerveau des petits animaux, en sont venus à la conclusion que « les expériences vécues par un parent, même avant la conception, influencent fortement la structure et la fonction des générations subséquentes ». Dans le jargon scientifique, on parle d’« hérédité épigénétique transgénérationnelle ».

L’hippocampe : structure clé de la mémoire et de l’apprentissage

On ne peut parler de la mémoire sans mentionner l’importance de l’hippocampe, cette zone du cortex cérébral qui porte le nom du petit cheval des mers en raison de sa forme. C’est le lieu de convergence de toutes les informations décodées dans les aires sensorielles. Cette structure facilite l’association des informations provenant des différentes régions du cortex, par exemple en établissant un lien entre une odeur et une expérience vécue.

De l’hippocampe, les informations suivent un circuit appelé « circuit de Papez », qui les font passer dans d’autres structures du système limbique — qui est parfois décrit comme le « cerveau des émotions » — pour retourner « remodelées » à l’hippocampe. C’est ainsi que ces informations finiront par devenir des souvenirs à long terme (voir le point 2), cessant de refaire le circuit de Papez et quittant définitivement l’hippocampe pour être encodées dans les régions du cortex spécifiques à chaque système sensoriel – ces mêmes régions d’où sont issues les informations sensorielles à la base des souvenirs (voir le point 3).

Mon souvenir est plus vrai que le tien!

Pourquoi n’a-t-on jamais tout à fait le même souvenir que les autres d’une situation qu’on a vécue ensemble? Ou pourquoi notre perception d’un souvenir peut-elle être ressentie différemment au fil des ans? C’est que d’abord et avant tout, un souvenir est une histoire que l’on se raconte. Ce n’est pas un enregistrement fidèle, mais une reconstruction d’une expérience personnelle faite de divers éléments – sensoriels, spatio-temporels, émotionnels, etc. – qui bien qu’ayant été enregistrés au même moment, ont été stockés dans des endroits différents.

Pour utiliser la métaphore du livre, lorsqu’on se remémore un souvenir, le cerveau n’a pas accès à un « livre » de ce souvenir, il doit plutôt tenter de retrouver autant de « pages » que possible ayant été « imprimées » en même temps. Cet éparpillement fait en sorte que le souvenir ne sera pas forcément exact ni immédiat. À cela, il faut ajouter que les dispositions dans lesquelles nous nous trouvons au moment de nous remémorer le souvenir – la nature et le contexte du rappel de même que notre état affectif – lui conféreront une teinte particulière.

Ajoutons à cela que la mémoire fonctionne par associations, en ce sens qu’une chose nous en rappelle une autre, puis une autre, et ainsi de suite! Ainsi donc, chacun suit un chemin qui lui est propre pour revenir sur les traces de ses souvenirs.

Catherine Meilleur

Auteure:
Catherine Meilleur

Rédactrice de contenu créatif @KnowledgeOne. Poseuse de questions. Entêtée hyperflexible. Yogi contemplative.