Apprendre exige des efforts, et c’est en cela une activité sérieuse. Ajoutons que la figure de l’enseignant, qui porte une certaine autorité, appelle depuis toujours au respect. Cela dit, la quête du bien-être est aujourd’hui présente dans presque tous les milieux et les rapports hiérarchiques rigides ne sont plus de mise. L’efficacité pédagogique du jeu et du ludisme, non seulement chez les jeunes, mais aussi chez les adultes est attestée, et l’importance des émotions dans l’apprentissage n’est plus niée.
Ce qui nous mène à l’humour, un ingrédient qui, en classe, est le plus souvent spontané et tributaire de la personnalité de l’enseignant, mais qui mérite qu’on le prenne un peu plus au sérieux vu ses potentiels impacts positifs comme négatifs. Sans faire une analyse exhaustive de la question, en voici matière à réflexion.
Qui ne sait pas rire ne doit pas être pris au sérieux.
– Thomas Bernhard
Irrésistible humour
Au palmarès des qualités humaines et relationnelles les plus prisées, avoir le sens de l’humour occupe une place de choix. On le sait : manier l’humour avec tact est une redoutable arme de séduction, au sens large du terme! C’est qu’il mobilise chez le locuteur certaines facultés cognitives parmi les plus sophistiquées : conscience de soi, maîtrise de la nuance du langage, compréhension des émotions et du non verbal, spontanéité, empathie… et qu’il provoque habituellement chez le destinataire ce réflexe des plus agréables et salvateurs qu’est le rire!
Cette capacité pouvant être élevée au rang d’« art » nous est d’autant plus précieuse qu’elle pourrait bien être l’une des dernières chasses gardées du genre humain face à la machine : l’intelligence artificielle (IA) n’étant pas à la veille de « cracker » ses codes (voir IA, fais-moi rire!). Ils sont donc rares ceux qui n’apprécient pas la prise de recul, la dédramatisation, la détente et tous les autres bienfaits qui peuvent découler de l’humour.
Dans le contexte qui nous intéresse ici, soit celui de la pédagogie et de l’apprentissage, quelques études semblent soutenir l’idée qu’un enseignant qui fait bon usage de l’humour en classe est mieux perçu des apprenants qu’un enseignant qui y recourt peu. Si ce constat n’est pas surprenant, insistons toutefois sur l’importance du « bon usage » (voir l’encadré Humour efficace en classe : petit guide), puisqu’il ne suffit souvent que d’une légère maladresse pour que le charme soit rompu. Une étude allemande (Kassner, 2002) révèle d’ailleurs que les étudiants, s’ils accordent plus d’importance à l’humour dans le cadre d’un cours que les enseignants, se montrent plus sensibles que ces derniers aux situations d’humour négatif.
Les chercheurs du domaine des sciences de l’éducation sont peu nombreux à avoir exploré en profondeur les liens entre humour et apprentissage. Parmi les premiers qui ont tenté de pallier le manque d’études empiriques sur le sujet se trouve Avner Ziv, professeur de psychologie de l’Université de Tel Aviv. Ziv avançait que l’humour pouvait faire davantage que mobiliser l’attention des étudiants, émettant l’hypothèse qu’il pouvait favoriser l’apprentissage par associations d’idées. En 1988, il publie les résultats de ses expérimentations menées auprès de deux groupes d’étudiants en psychologie durant un trimestre entier, chaque groupe ayant reçu l’enseignement de la même matière, mais l’un avec humour et l’autre sans. Le premier groupe a terminé le trimestre avec une moyenne supérieure à celle du second groupe, soit 86,4 % contre 73,1 %. Le hic c’est qu’évaluer l’efficacité pédagogique de l’humour est loin d’être simple, tant les variables qui entrent en jeu sont nombreuses et pour la plupart impossibles à isoler.
Définir l’insaisissable
L’humour a beau faire partie de notre quotidien, lorsqu’on s’y penche plus sérieusement, on s’aperçoit qu’il peut être d’une incommensurable complexité. Robert Aird, historien de l’humour au Québec soutenait en entrevue au Devoir que « Toute définition du rire ou de ce qui fait rire a un effet réducteur », ajoutant que c’est néanmoins ce qui rend ce thème si passionnant.
Chez nos voisins du Sud, Jim Holt, auteur et collaborateur au New Yorker et au New York Times Magazine en tant que spécialiste des sciences et de la philosophie, est aussi de ceux qui ont tenté de mieux cerner l’humour. Après une rigoureuse enquête, il conclut dans son essai Petite philosophie des blagues et autres facéties que si la mécanique du rire est scientifiquement démontable, il n’en va pas de même pour celle de l’humour, qui reste mystérieuse. Le journaliste Joel Warner et le directeur de l’Humor Research Lab du Colorado, Peter McGraw, ont pour leur part fait le tour du monde pour essayer de comprendre ce phénomène, et publié leurs observations dans un livre intitulé The Humor Code. La théorie la plus probante selon eux serait celle de la « violation bénigne », avancée par le linguiste Thomas Veatch à la fin des années 1980, qui soutient qu’on rit à ce qui semble déplacé ou choquant… mais pas trop! Cela dit, la « violation bénigne » en tant que telle varie d’une culture à l’autre — et même d’une personne à l’autre —, selon ses tabous, ses codes, son histoire, etc.
Dans l’Hexagone, le linguiste Patrick Charaudeau, qui s’est penché sur la catégorisation des faits humoristiques à partir d’un certain nombre de paramètres issus de l’analyse du discours, concède que si la littérature sur l’humour abonde, parler de ce sujet pose plusieurs difficultés, notamment parce qu’il faut « éviter d’aborder cette question en prenant le rire comme garant du fait humoristique » ou encore qu’il est nécessaire de surmonter les défis que posent « le choix des termes qui servent à désigner l’acte humoristique ». Selon le linguiste, les actes humoristiques relèvent rarement d’une seule catégorie. « Ici, nous nous trouvons en présence d’un fait de discours qui, peut-être plus que d’autres, joue sur la pluralité des sens, ce qui en fait son charme. Le sens d’un fait humoristique dépend de la combinaison de plusieurs catégories qui peuvent coexister », précise-t-il. Charaudeau décrit par ailleurs tout fait humoristique comme « un acte d’énonciation à des fins de stratégie pour faire de son interlocuteur un complice ». Quant aux effets possibles de l’acte humoristique, il les décrit comme des « types de connivences » — ludique, critique cynique et de dérision —, qui tout en se distinguant peuvent selon lui se superposer les uns aux autres.
Bref, analyser l’humour n’est pas chose légère… Malgré le flou et les contradictions auxquels on se bute en explorant ce mystérieux continent, il reste possible d’y naviguer à l’aide de quelques repères que l’on doit aux diverses disciplines qui s’y sont intéressées.
Mécanisme vital
L’humour fait partie de nos mécanismes de défense et est défini comme suit dans le DSM, bible américaine de la psychiatrie : « Mécanisme par lequel le sujet répond aux conflits émotionnels ou aux facteurs de stress internes ou externes en faisant ressortir les aspects amusants ou ironiques du conflit ou des facteurs de stress. » Le sens de l’humour est d’ailleurs une faculté qui se développe très tôt chez l’enfant. Si ses sourires sont un réflexe dans ses premières semaines de vie, vers l’âge de quatre mois il commence déjà à rire de ce qui l’amuse. « Contrairement aux adultes, les tout petits peuvent rire 20 fois se suite de la même blague, car la répétition les rassure et les aide à prévoir certaines situations pour mieux s’en amuser », apprend-on sur le site Naître et grandir. Comme le jeu, l’humour se développe chez l’enfant en plusieurs phases spécifiques, et il aurait selon certains un rôle dans l’acquisition d’information utile à la survie.
Difficile de nier que l’humour est un acte fondamentalement social du genre humain, comme l’explique l’anthropologue Christine Escallier dans Pédagogie et humour : le rire comme moyen de construction d’un public attentif en salle de classe : « Au regard de l’anthropologie, parler du rire, c’est en premier lieu souligner l’aspect culturel du comportement. Les anthropologues, comme les sociologues, considèrent le rire comme un mode de communication, ainsi, pour Desmond Morris, le rire est étroitement lié au développement de la vie sociale chez l’homme primitif. » Dans son article L’humour et la communication. Le lien entre émotions et cognition, la professeure de communications Maria Lucília Marcos exprime combien, peu importe sous quel angle on le regarde, l’humour s’inscrit toujours dans un rapport impliquant l’individuel et le collectif : « Comme réponse à certaines exigences de la vie en commun, en cachant une arrière-pensée d’entente et de complicité avec d’autres, le rire a une indéniable fonction sociale : face à une quelconque imperfection individuelle ou collective, rire et faire rire jouent, à la fois, comme correction et comme répression ou refoulement des distractions des hommes et des événements. […] L’humour et le rire révèlent toujours une sorte de tension individuelle qui se projette sur le collectif (qui peut être, bien sûr, un collectif de deux) et qui absorbe le malaise des autres (de l’autre), selon un procès de communication et de capillarité complexe, quoique bref. »
Christine Escallier rappelle aussi que l’humour a une filiation avec une valeur hautement éthique : « Au cours des XIXe et XXe siècles, le rire est apparenté à la plus grande des sagesses. Pour Friedrich Nietzsche et Vladimir Jankélévitch, l’humour permet à l’homme de prendre conscience de soi, de s’élever, socialement et intellectuellement, en dépassant sa condition. En prenant conscience de soi, on prend conscience de l’autre. Le rire participe donc à la formation de l’Homme, et au développement de son humanité. »
Il ressort de ces analyses que l’humour est aussi important pour notre équilibre psychique individuel que pour notre équilibre social. La salle de classe étant un microcosme de la société et le fait que nous y passons une bonne partie de notre vie font qu’il apparaît souhaitable que l’humour y ait une place et que nous nous intéressions davantage à ses effets dans ce contexte. Tout comme le jeu, l’humour semble partager avec l’apprentissage des liens naturels, mais si l’on ne doute plus de cette parenté entre le jeu et l’apprentissage, ce n’est pas le cas de l’humour. Pourtant, les potentiels que lui attribuaient Nietzsche et Jankélévitch il y a déjà plus d’un siècle ne correspondent-ils pas à ceux de l’apprentissage?
J’ai déjà eu un professeur de sciences qui utilisait l’humour — et les explosions dans les expériences scientifiques — pour retenir notre attention. C’était génial! Je me souviens aussi d’un professeur d’anglais qui était pince-sans-rire et qui semblait tout connaître; ses cours étaient très divertissants et ça nous incitait à rester engagés.
— Joshua Nickerson, développeur interactif à KnowledgeOne
Un outil pédagogique à double tranchant
Malgré le peu d’études empiriques sur les liens entre humour et apprentissage, quelques études sur la question permettent de se faire une idée de ce qui distingue un humour que l’on pourrait dire « pédagogique » d’un autre qui serait « non pédagogique ». À ce propos, l’Allemand Dieter Kassner publie en 2002 L’humour en classe, après s’être penché sur la relation à l’humour en contexte pédagogique d’étudiants et d’enseignant d’écoles de formation professionnelle commerciale. Il y définit « l’humour pédagogique » comme un « humour qui influence les processus pédagogiques de manière ciblée », ajoutant que « si l’humour influence les objectifs du processus pédagogique de façon positive, il peut être considéré comme faisant partie des outils pédagogiques ». Parmi ses observations, Kassner note qu’étudiants et enseignants se rejoignent sur le fait qu’un cours ne devrait pas être dépourvu d’humour, mais que les situations d’humour qui y sont expérimentées devraient être positives et se situer à l’intérieur d’un certain spectre humoristique — que l’on pourrait qualifier de « bienveillant » (Hain, 2000). Les limites d’un humour bienveillant sont outrepassées lorsqu’on entre dans le spectre de la moquerie, du sarcasme, de l’ironie ou de la joie dite maligne, ou encore lorsqu’on utilise l’humour de manière excessive.
Dans un contexte de formation aux adultes, il m’est arrivé d’avoir un enseignant qui s’amusait à rire des gens d’une manière un peu méchante. Au départ, il le faisait en parlant de personnalités publiques qui n’étaient pas directement reliées à notre groupe. Toute la classe trouvait ça comique et engageant! Ça créait une atmosphère agréable, plus détendue. En voyant que son approche fonctionnait, il a commencé à l’utiliser, mais en faisant référence à des étudiants du cours. Disons que certains ont trouvé ça drôle, d’autres moins. Pour ma part, ça m’a fait décrocher à un point tel que j’ai abandonné le cours. Recourir au sarcasme et à un humour mesquin c’est vraiment une arme à double tranchant que très peu de gens savent manier.
— Manasvini Narayana, analyste en recherche d’apprentissage à KnowledgeOne
Dans le même ordre d’idée, Avner Ziv conclut dans son étude que si l’humour peut aider de façon significative à mémoriser de l’information, encore faut-il que l’enseignant y recoure avec modération et qu’il évite le sarcasme, au risque d’exercer une influence négative sur les apprenants. Un article publié sur le site du Ministère israélien résume les réserves de Ziv concernant un usage systématique de l’humour en classe : « Il conclut que l’humour n’est pas indispensable dans l’enseignement et n’est certainement pas la qualité la plus importante d’un bon professeur : il ne doit être utilisé que par ceux qui se sentent à l’aise en le pratiquant ». L’ethnologue Christine Escallier arrive à une recommandation semblable : « Si je prône l’utilisation du rire dans l’enseignement, c’est avec parcimonie qu’il faut l’utiliser, sans en faire ni un principe ni une règle, mais tout simplement un instrument didactique salutaire parmi d’autres. »
Il va de soi que l’humour joue tant sur notre intellect que sur nos émotions, l’un et l’autre étant par ailleurs intimement liés. Puisqu’on sait désormais combien les émotions peuvent devenir un moteur ou un frein au processus d’apprentissage, il est essentiel que l’enseignant — premier responsable d’injecter dans une classe un humour bienveillant et dosé — s’intéresse aux impacts émotionnels de l’humour qu’il utilise auprès de ses étudiants (voir L’importance des émotions dans l’apprentissage et 4 émotions de l’apprentissage).
L’humour déstabilise, pour le meilleur ou pour le pire, le rapport traditionnel entre l’enseignant et l’apprenant, comme le dépeint Christine Escallier : « L’un des paradoxes d’une didactique par l’humour est qu’il transforme le contexte studieux, dans lequel sont ordinairement transmis les savoirs, où discipline et rigueur règnent. La relation professeur-élève s’établit à partir de comportements complémentaires et stéréotypés : le professeur parle, l’élève écoute ; le professeur ordonne, l’élève obéit, etc. Introduire l’humour et le rire dans un lieu où en général il est fortement contrôlé, voire proscrit, cela entraîne obligatoirement un changement physique, une attitude corporelle et gestuelle différente chez le professeur qui rejaillira sur son « public » : les élèves. »
En 6e année du primaire, j’avais un professeur excentrique qui faisait chaque vendredi un jeu-questionnaire avec questions difficiles… Chaque fois qu’un élève avait une bonne réponse, il mangeait une sauterelle grillée! C’était super le fun, les questions étaient vraiment difficiles et on voulait vraiment avoir les bonnes réponses!
— Eric Hatch, stratège de contenu & coordonnateur à KnowledgeOne
Dans un billet intitulé Humour et enseignement publié dans le Voir, le philosophe et essayiste Normand Baillargeon se demande si l’humour a sa place dans l’enseignement, si l’on peut apprendre grâce à lui, s’il possède réellement des vertus pédagogiques. Le chroniqueur évoque d’entrée de jeu la fonction pédagogique qu’accomplit depuis l’Antiquité la satire : « En mettant ainsi à jour, par la moquerie, ce que ces institutions, personnes, etc. ont de ridicule ou d’indéfendable, la satire nous invite à les réévaluer et, peut-on espérer, à les changer. Elle réalise de la sorte une des grandes fonctions sociales de l’humour, qui est de dévoiler nos travers en nous invitant à les corriger. »
Le hic, comme le rappelle le chroniqueur, c’est que l’usage de la satire ou de l’humour en classe est risqué et qu’il peut, en cas de ratage, causer des dommages considérables à l’enseignant lui-même, à certains étudiants de même qu’à l’atmosphère de la classe. Alors, comment tirer le meilleur de l’humour en classe, provoquer le rire pour faire réfléchir et générer un changement en évitant à tout prix de blesser et de créer l’effet contraire à celui recherché? Baillargeon a deux suggestions qu’il explique à l’aide d’exemples : la blague didactique et mnémotechnique — dont l’idée lui est venue d’un ouvrage d’initiation à la philosophie écrit sous forme de blagues — ainsi que le mot d’esprit.
Un mot enfin sur l’ironie socratique dont le chroniqueur fait mention, puisque, rappelle-t-il, il est « impossible de parler d’humour et d’éducation sans évoquer le premier — et possiblement le plus grand — professeur de philosophie: Socrate ». « Cette ironie socratique consistait à feindre l’ignorance devant l’ignorant bouffi d’orgueil qui croit savoir et à le questionner en disant vouloir apprendre de lui. Le résultat de l’exercice, mené devant témoins, est qu’en bout de piste le prétendu savant perd peu à peu de sa prestance et est finalement contraint d’admettre sa propre ignorance », explique le contemporain du penseur grec. Bien que, comme Kassner, Normand Baillargeon concède que l’ironie n’a pas vraiment sa place en classe, il serait faux d’affirmer que ce procédé, en particulier lorsqu’il s’exprime à la manière de Socrate, est dénué de valeur pédagogique : « On ne recommande pas de pratiquer cela en classe. Mais devant un Important doublé d’un Prétentieux, la valeur pédagogique de cette manière de faire peut être grande, sinon pour l’Important lui-même, du moins pour ceux et celles qui observent la joute verbale et qui concluront, comme l’enfant pointant du doigt le défilé des Importants, que cette royale personne est bel et bien nue. Et que c’est vraiment pas beau à voir… » Voilà qui est dit!
Christine Escallier rappelle qu’en classe, l’expression humoristique peut prendre plusieurs formes. « Le professeur peut projeter une image (caricature, dessin de bande dessinée, photographie, etc.) ; il peut également donner à lire un texte humoristique ; conter une histoire ou encore utiliser de termes issu du parler des jeunes ou de tout autre groupe social et communautaires. Mais quel que soit le moyen choisi et/ou le support utilisé, la difficulté réside à savoir quel type d’humour employé, et pour quel type de public (âge des élèves, cultures). Il faut en quelque sorte utiliser un humour « neutre » ; éviter par exemple des plaisanteries sur les religions (Dieu, Mahomet), sur les leaders politiques (droite, gauche, extrêmes) parce qu’elles pourraient alors être considérées comme un moyen détourné pour le professeur d’exprimer ses pensées et de manipuler ses élèves. »
On pourrait résumer l’enjeu de l’humour en classe par cette réflexion du pédagogue et philosophe français Hugues Lethierry tirée de son ouvrage Se former dans l’humour, à l’effet qu’il faut « passer de l’humour involontaire de l’école à une utilisation consciente, en partie maitrisée, pour surmonter les conflits institutionnels et prendre du recul par rapport à sa propre « humeur », développer avec l’esprit divergent l’imaginaire et ses potentialités indéfinies ».
Le potentiel de l’humour en classe
Se retrouver face à de nouvelles connaissances, devoir s’admettre son ignorance ou encore accepter qu’un savoir que l’on croyait juste ne l’est pas nous place dans des positions inconfortables, mais inhérentes à l’apprentissage. Or, l’humour peut s’avérer un antidote de choix à cet inconfort, ne serait-ce que parce qu’il permet de désacraliser le savoir, donc de le rendre moins intimidant et ainsi d’aider l’apprenant à l’apprivoiser puis à se l’approprier.
Dans son billet dont nous avons discuté plus haut, Normand Baillargeon fait un bon résumé des potentiels bienfaits de l’humour en pédagogie lorsqu’il est utilisé judicieusement : « L’atmosphère de la classe peut s’en trouver améliorée, l’intérêt pour la matière et la participation peuvent augmenter, le stress diminuer, les relations entre élèves et entre enseignant.es et élèves être meilleures. L’humour peut encore attirer ou maintenir l’attention, procurer une bienvenue pause dans une leçon ardue, faire tomber des barrières psychologiques et même faciliter l’expression d’idées qui autrement ne seraient pas avancées. » Précisons que plusieurs études — provenant davantage du domaine de la psychologie que des sciences de l’éducation — indiquent en effet que l’humour participe à créer une ambiance favorable aux apprentissages, suscite l’attention des apprenants, et stimule leur créativité et leur motivation (Foll, 2007; Garner, 2005; Guégan, 2008; Ziv, 1979; Rißland et Gruntz-Stoll, 2009).
Concernant la mémorisation, Avner Ziv, qui avait noté dans le cadre de ses expériences l’impact positif de l’humour sur cette faculté, avançait comme hypothèse que nous serions plus susceptibles de nous souvenir d’une information ayant généré des émotions. Précisons que les neurosciences ont confirmé récemment que le processus d’apprentissage se déploie en une série d’étapes bien précises dans lesquelles les émotions ont un rôle à jour, que ce soit pour stimuler l’attention et l’engagement actif ou pour permettre l’encodage d’informations (voir Neurosciences : apprendre en 4 temps).
Christine Escallier évoque pour sa part le nécessaire équilibre — on pourrait aussi parler d’homéostasie —, que l’humour peut apporter au contexte d’apprentissage, qui vient forcément avec son lot de sérieux et de rigidité : « Les contraires sont source de dynamisme. De cette complémentarité, nécessaire à tout être humain, le couple Travail/Loisir suit ici la règle théâtrale des trois unités — d’action, de lieu et de temps — alors qu’en pédagogie ce couple est fondamentalement et traditionnellement toujours séparé à l’école (Travail = salle / Loisir = cour de récréation). En conséquence, le professeur crée une ambiance propice à l’étude — Tonus / Détente —, c’est-à-dire quand l’effort intellectuel de compréhension et mémorisation est compensé par la relaxation et la décontraction. Ainsi cette « gymnastique », tant physiologique qu’intellectuelle, augmente la réceptivité de l’élève et son émissivité. En clair, l’élève participe. Ce qui est bien l’objectif recherché par tout éducateur, car enseigner c’est aussi, comme le rire, communiquer. »
D’ici à ce que la recherche nous donne l’heure juste sur tous les potentiels de l’humour dans l’apprentissage, nous pouvons au moins relever cette évidence, comme le fait Escallier, voulant qu’il peut au minimum aider à « combattre l’ennui qui règne trop souvent dans une salle de classe »…
Auteure:
Catherine Meilleur
Rédactrice de contenu créatif @KnowledgeOne. Poseuse de questions. Entêtée hyperflexible. Yogi contemplative.
Catherine Meilleur possède plus de 15 ans d’expérience en recherche et en rédaction. Ayant travaillé comme journaliste, vulgarisatrice scientifique et conceptrice pédagogique, elle s’intéresse à tout ce qui touche l’apprentissage : de la psychopédagogie aux neurosciences, en passant par les dernières innovations qui peuvent servir les apprenants, telles que la réalité virtuelle et augmentée. Elle se passionne aussi pour les questions liées à l’avenir de l’éducation à l’heure où se pointe une véritable révolution, propulsée par le numérique et l’intelligence artificielle.