Il n’y a pas si longtemps, on pensait qu’apprendre était un processus strictement rationnel dans lequel les émotions n’avaient pas grand-chose à voir. Une croyance qui s’est cristallisée avec une certaine définition de l’intelligence dérivée des « fameux » tests de QI, pourtant conçus pour détecter les difficultés d’apprentissage chez les enfants. On sait aujourd’hui que les émotions tiennent un rôle à ce point important dans la cognition qu’elles peuvent servir de levier ou, au contraire, devenir un frein. Que vous soyez enseignant ou apprenant, voici quelques points sensibles à garder en tête!

Un système de protection vital

Une émotion peut être définie comme une « réaction de l’organisme à un événement extérieur, et qui comporte des aspects physiologiques, cognitifs et comportementaux » (Les 30 notions de la psychologie de Jacques Lecomte). Nos émotions ont longtemps été considérées comme sans importance, si ce n’est honteuses ou encombrantes. On sait maintenant qu’elles jouent un rôle essentiel dans notre équilibre individuel et dans nos relations sociales. Ainsi, s’il a déjà été de bon ton de les taire ou de les cacher, la tendance est désormais d’y être à l’écoute, de les apprivoiser, de les exprimer et d’apprendre à mieux les gérer.

Il est normal que, dans une certaine mesure, nos émotions fluctuent puisque c’est de cette façon qu’elles remplissent leur rôle, soit celui d’un système de protection hypersophistiqué. Celui-ci a d’ailleurs contribué à assurer la survie de notre espèce en nous aidant à identifier dans notre environnement les éléments pouvant nous affecter, de manière favorable ou non, puis en nous guidant sur la façon d’y réagir pour préserver notre intégrité ou notre bien-être. Nos émotions jouent toujours ce rôle, même si notre environnement est différent. Notons enfin que le terme « émotion » vient du latin « emovere » qui veut dire « mettre en mouvement ».

Toutes les émotions sont utiles!

La qualité (positive ou négative) et l’intensité (forte ou faible) de l’émotion indiquent la présence d’un événement ou d’une situation pouvant avoir un impact – soit positif ou négatif, fort ou faible – sur notre intégrité ou notre bien-être. La nature de l’émotion (joie, peur, tristesse, colère, etc.) fournit quant à elle des indices sur l’action ou l’ajustement nécessaire pour retrouver ou protéger notre intégrité ou notre bien-être.

Ainsi, bien que certaines émotions sont dites « positives » parce qu’elles sont ressenties comme étant agréables, et que d’autres sont qualifiées de « négatives » parce qu’elles sont désagréables, toutes les émotions ont leur utilité.

Comme nous l’avons exposé dans un article précédent, quatre types d’émotions ont été identifiés comme ayant une influence marquée dans l’apprentissage.

Apprendre c’est déstabilisant!

Apprendre implique de remettre en question ce qu’on croyait savoir, de s’ouvrir à de nouvelles idées et à davantage de complexité, et de déployer des efforts sans en connaître forcément l’aboutissement. Bref, c’est une démarche déstabilisante qui, bien qu’elle comporte son lot d’émotions positives, ne peut préserver de ressentir toute émotion négative. Il est primordial de rappeler ce fait à l’apprenant, de l’encourager à s’exprimer sur ce qui le déstabilise dans son parcours et de lui donner les ressources nécessaires pour l’aider.

C’est d’autant plus important puisque de nier ou de réprimer ses émotions ne les fait pas disparaître… au contraire, cela risque de les amplifier.

Semblables différents

Phénomène qui comporte une grande part de subjectivité, d’impalpable, les émotions vécues dans un groupe varient d’un apprenant à l’autre. Cette différence peut s’expliquer par plusieurs facteurs propres à un groupe d’individus : l’origine ethnique, la culture, le genre, le sentiment d’appartenance vis-à-vis de l’institution d’enseignement, etc. Des études ont, par exemple, confirmé que l’anxiété liée aux examens était plus élevée chez les étudiants de certaines régions du monde.

Malgré l’influence que peuvent avoir ces facteurs, ce sont les différences proprement individuelles qui ont le plus de poids : notre physiologie et notre génétique, notre vécu, nos valeurs personnelles, etc. À ces particularités intrinsèques, il faut ajouter des éléments tels que la confiance en soi, l’intérêt personnel pour une matière en particulier et le fait que l’état émotionnel de chacun évolue de façon distincte au fil du temps.

Moteur ou frein au processus d’apprentissage

Les émotions peuvent affecter l’apprenant à différents stades du processus d’apprentissage. Comme cela a été démontré, elles peuvent avoir un impact soit positif soit négatif sur son attention, sa motivation, ses stratégies d’apprentissage et sa capacité à autoréguler son apprentissage.

Parmi les émotions négatives susceptibles d’entraver à un moment ou à un autre le processus d’apprentissage on compte :

  • l’anxiété
  • la peur de l’échec
  • l’embarras
  • l’incapacité à comprendre un exercice
  • le découragement
  • l’ennui

Du côté des émotions positives qui ont une incidence bénéfique sur ce processus, on retrouve principalement :

  • le plaisir d’apprendre en général
  • le plaisir d’apprendre sur une matière en particulier
  • l’enthousiasme vis-à-vis du matériel d’apprentissage
  • l’espoir de réussir
  • la fierté attribuable à des accomplissements

Émotion positive pas si bénéfique et émotion négative pas si néfaste

Une précision s’impose : ce n’est pas parce qu’une émotion est positive, au sens large, qu’elle est forcément bénéfique au processus d’apprentissage. Pour être utile à ce processus, elle doit être liée à l’apprentissage ou à des tâches d’apprentissage; autrement, elle peut nuire à l’attention et affecter la performance.

En parallèle — même s’il n’est pas question d’encourager l’émergence d’émotions négatives chez l’apprenant —, ce n’est pas parce qu’une émotion est négative qu’elle représente en toutes circonstances un frein pour l’apprenant : l’anxiété, l’embarras ou la colère peuvent motiver l’apprenant à redoubler d’efforts, à condition que celui-ci veuille réussir et qu’il croit en ses chances d’y parvenir. Bien entendu, l’intensité et la fréquence de l’émotion ressentie auront aussi une incidence; si elle est trop forte ou récurrente, l’apprenant risque d’être submergé par le sentiment d’impuissance.

La contagion émotionnelle, oui ça existe…

L’état affectif de l’enseignant peut avoir une influence considérable sur l’apprenant. À preuve, un effet de contagion du stress de l’enseignant aux étudiants a été mis au jour dans une vaste étude canadienne publiée récemment. Bien que l’expérience se soit déroulée dans des classes du primaire, il n’est pas impossible que le phénomène puisse aussi survenir dans des classes d’apprenants adultes. Cette manifestation entre dans la grande famille de la « contagion émotionnelle », un processus déjà connu, en partie génétique impliquant nos « neurones miroirs », par lequel nous nous imprégnons inconsciemment des émotions des autres.

En raison de nos différences psychophysiologiques et de nos expériences personnelles, ce phénomène varie en intensité d’une personne à une autre. Malgré qu’il s’agisse d’un mécanisme involontaire, le simple fait de connaître son existence, de savoir que les émotions, positives comme négatives, peuvent se propager aussi facilement dans notre entourage, peut inciter l’enseignant à évaluer son état d’esprit avant de donner un cours et à tenter de le changer, si nécessaire.

Émotions et mémoire : un duo explosif

La mémoire est à ce point cruciale pour l’apprentissage que les deux notions sont souvent confondues. Alors que l’apprentissage est le processus qui permet de modifier un comportement, la mémoire est cette capacité à stocker de l’information et à y faire appel.

Les émotions ont une influence considérable sur la mémoire. C’est ce qui fait notamment qu’on se rappelle mieux des événements chargés sur le plan émotif. Il y a fort à parier que vous vous souvenez où vous étiez le 11 septembre 2001, mais peut-être pas le 11 septembre 2000… C’est une manifestation de ce que l’on appelle le phénomène des souvenirs-flashs (Flashbulb memory phenomenon).

Dernièrement, les neurosciences ont révélé que pour « encoder » un apprentissage, le cerveau a besoin de rétroactions sur ses prédictions, plus précisément d’un signal d’erreur qui doit entraîner chez l’apprenant un sentiment de surprise (voir Neurosciences : apprendre en 4 temps). Ajoutons que c’est principalement sur la consolidation à long terme que les émotions agissent.

Nous savons aussi que plus une situation nous concerne de près et qu’elle touche à l’un de nos besoins fondamentaux — pensons à la pyramide de Maslow —, plus elle est susceptible de nous interpeller émotionnellement.

L’enseignement empathique

À la différence de la contagion émotionnelle, l’empathie est un phénomène conscient qui consiste à être capable de ressentir les états affectifs de quelqu’un d’autre, de « se mettre dans sa peau », une habileté, qui implique d’être au départ à l’écoute de ses propres émotions ou « conscient de soi ». Indispensable pour bien décoder les sentiments des autres, cette qualité qui demande d’être ouvert et respectueux envers son prochain est l’une des clés d’une communication efficace.

Puisque tout enseignant a déjà été apprenant, chacun peut faire cet exercice empathique de se remémorer les émotions qui ont marqué son parcours scolaire, les situations qui en sont à l’origine et les attitudes des enseignants ont eu un impact significatif sur celles-ci.

Tirer profit de l’environnement d’apprentissage

Parce qu’il est propice aux échanges stimulants et au dépassement de soi, un environnement d’apprentissage est en général un terrain formidable pour développer ses « compétences » émotionnelles. C’est vrai pour les plus jeunes, mais aussi pour les adultes… puisqu’on n’arrête jamais d’évoluer sur le plan des émotions. Ce contexte peut donc permettre à chacun d’améliorer ses aptitudes sociales ainsi que ses capacités à collaborer, à faire valoir son point de vue, à prendre des initiatives, à se mettre à l’écoute des autres, etc.

L’apprenant doit, bien entendu, être disposé à développer ces compétences. Néanmoins, certaines approches d’enseignement ou activités peuvent aussi stimuler cette dimension, en plus de transmettre les notions au programme.

Les deux grandes alliées de l’apprenant

Avoir confiance en soi et accorder de la valeur aux tâches que l’on accomplit sont deux dispositions que l’apprenant a avantage à cultiver. En fait, elles sont essentielles pour que se manifeste chez lui l’ensemble des émotions positives liées à l’apprentissage et pour prévenir ou réduire l’apparition des émotions négatives. Puisque l’adulte est responsable de gérer ses émotions, il est opportun qu’il prenne le temps de s’arrêter et d’évaluer son état quant à ces deux facteurs. S’il lui apparaît souhaitable de faire des changements, c’est à lui de voir quelles actions il peut entreprendre ou quelle aide il peut solliciter.

L’enseignant peut aussi avoir une influence sur ces deux alliées de l’apprenant, entre autres en mettant l’accent sur les forces de ce dernier plutôt que sur ses lacunes, en stimulant son intérêt pour les tâches liées au cours et en instaurant dans son enseignement une culture où les erreurs sont considérées comme des occasions d’apprendre plutôt que des échecs. Pour maintenir l’intérêt de l’apprenant adulte, il faut aussi lui exposer clairement les applications concrètes et bénéfices qu’il pourra tirer des connaissances apprises (voir L’adulte : un apprenant distinct et 12 conseils pour une formation en ligne adaptée aux adultes).

Les atouts de la formation en ligne

Certains outils de la formation en ligne sont d’un grand intérêt pour créer un environnement propice à l’éclosion d’émotions positives et favoriser des échanges interpersonnels constructifs à chaque étape du processus d’apprentissage (voir Le sens de la communauté compte-t-il en formation en ligne?). Le forum de discussion (voir Mes étudiants ne participent pas au forum… pourquoi?), les séances en direct (apprentissage synchrone) et les réseaux sociaux représentent trois options de choix. Elles peuvent servir à prendre le pouls des apprenants sur les difficultés rencontrées, à lancer sur une base régulière des discussions sur les défis les plus déstabilisants qu’ils doivent relever ou encore à les inviter à proposer des thèmes de discussion et à lancer eux-mêmes les échanges.

La formation en ligne dispose aussi d’un outil fort efficace pour tirer le maximum de la relation étroite qui existe entre émotions et mémoire : les scènes vidéos. Pour réussir cette opération, il faut s’assurer que les mises en situation interpellent l’apprenant, et maintenir son intérêt en répartissant de façon équilibrée les scènes et les interventions explicitement pédagogiques (questions et explications).

La réalité virtuelle pour stimuler l’empathie

Un mot sur la réalité virtuelle, cette solution hypersophistiquée qui est de plus en plus intégrée aux formations où l’immersion peut réellement servir l’apprentissage. Puisque la réalité virtuelle donne l’impression de vivre une situation réelle dans un environnement qui existe pour vrai, c’est l’outil par excellence pour générer chez l’apprenant les émotions auxquelles il serait confronté s’il apprenait « sur le terrain ». L’avantage est qu’il peut expérimenter tant et aussi longtemps que nécessaire sans se mettre en danger ou mettre en danger autrui.

Selon une expérience menée par l’université Stanford et dont les résultats viennent tout juste de paraître, la réalité virtuelle pourrait être utilisée pour stimuler de manière positive l’empathie. Dans le cadre de cette expérimentation, les chercheurs ont mis au point une application de réalité virtuelle qu’ils ont appelée Becoming Homeless consistant à immerger les participants — munis d’un casque de RV — dans l’univers d’une personne qui est graduellement exclue de la société jusqu’à devenir sans abri. Cette même histoire a été présentée à un autre groupe de participants sous forme de texte ou de scénario 2 D. Tous ont ensuite été invités à signer une pétition en faveur de logements abordables. Dans la première étude, 82 % de ceux qui ont été immergés dans l’histoire grâce à l’application de RV ont signé cette pétition contre 67 % pour les autres participants. Dans la seconde étude, les proportions ont été respectivement de 85 et 63 %. Comme quoi la technologie pourrait peut-être nous aider à devenir plus humains, et que l’empathie est bien une qualité qu’il est possible de développer.

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C’est en commençant par être à l’écoute de nos états affectifs et de ceux des autres que l’on peut espérer apprivoiser, au fil du temps, la réalité mouvante de nos émotions et en tirer davantage de satisfaction. Et un environnement d’apprentissage est un contexte tout désigné pour se découvrir et tenter d’améliorer ses compétences émotionnelles!

À propos de l’intelligence émotionnelle

Le concept d’intelligence émotionnelle (IE) a vu le jour dans les années 1990. D’abord défini par les psychologues Peter Salovey et John Mayer, il a été popularisé par Daniel Goleman avec la publication de son livre Emotional Intelligence, puis par une large couverture médiatique du sujet par le New York Times. Depuis, plusieurs théories ont été proposées en vue d’expliquer – et de mesurer : après les tests de QI, ceux de QE! – avec la plus grande justesse cette notion difficile à circonscrire et tentante à simplifier.

Selon le modèle révisé de Mayer et Salovey (1997), l’intelligence émotionnelle est une habileté qui comprend les quatre branches suivantes :

  1. La perception et l’évaluation, verbales et non verbales des émotions.
  2. La capacité d’intégration et d’assimilation des émotions pour faciliter et améliorer les processus cognitifs et perceptuels.
  3. La connaissance du domaine des émotions, la compréhension de leurs mécanismes, de leurs causes et de leurs conséquences.
  4. La gestion de ses propres émotions et de celles des autres.

Toutefois, l’idée que nous aurions d’autres formes d’intelligences que nos habiletés cognitives générales (facteur g) que mesure le QI est invalidée par la science. Nos habiletés relationnelles relèvent plutôt de nos habiletés cognitives générales couplées à notre personnalité, principalement au trait de personnalité « agréable », conformément au modèle connu sous le nom des Big Five, qui fait consensus en psychologie.

Catherine Meilleur

Auteure:
Catherine Meilleur

Rédactrice de contenu créatif @KnowledgeOne. Poseuse de questions. Entêtée hyperflexible. Yogi contemplative.