On s’intéresse de plus en plus à l’importance de l’autonomie dans l’apprentissage, y compris chez les adultes. Ce sujet semble plus pertinent que jamais, vu la place que prend désormais la formation en ligne, qui peut exiger des apprenants un surcroît d’autonomie par rapport aux cours en présentiel. L’un des concepts les plus intéressants et englobants sur le sujet est celui de l’apprentissage autorégulé, qui intègre de façon dynamique les aspects fondamentaux de l’acte d’apprendre que sont la cognition, la motivation, la métacognition et la volition. Afin de vous aider à mieux saisir ce concept porteur, voici quelques éléments tirés entre autres de la revue de littérature faite sur le sujet par le professeur Laurent Cosnefroy.

Une définition de l’apprentissage autorégulé

Formé du grec « autos » (soi-même) et du latin « regula » (règle, loi), le terme « autorégulation » désigne la capacité d’un système à se réguler lui-même, sans intervention extérieure, advenant une perturbation interne ou externe. Il peut s’employer pour parler d’un organisme, d’un processus, d’un système ou encore d’une machine. Plusieurs chercheurs se sont penchés sur l’autorégulation dans l’apprentissage et de cet intérêt, différentes définitions ont émergé. Dans sa revue de littérature « L’apprentissage autorégulé : perspectives en formation d’adultes », Laurent Cosnefroy privilégie la définition de l’apprentissage autorégulé de Shunk (1994), qui le décrit comme « un ensemble de processus par lesquels les sujets activent et maintiennent des cognitions, des affects et des conduites systématiquement orientés vers l’atteinte d’un but ». Cette définition présente donc l’apprenant comme un sujet autonome qui participe activement sur les plans motivationnel et métacognitif à son apprentissage en déployant des efforts pour atteindre le ou les buts fixés. Elle suppose qu’il ne suffit pas de déclencher l’action de se mettre au travail pour parvenir à s’y maintenir et atteindre ses buts.

Le concept d’apprentissage autorégulé met de l’avant l’idée que de disposer d’un bagage de connaissances et de stratégies d’apprentissage ne suffit pas pour apprendre; il faut aussi pouvoir mobiliser ces ressources de façon active et durable à l’aide de leviers motivationnels. L’apprentissage autorégulé se distingue de l’apprentissage autodirigé, même si les deux concepts mettent l’emphase sur l’autonomie dans l’apprentissage. Le second ratisse plus large en mettant la lumière sur les caractéristiques de l’environnement d’apprentissage qui encouragent l’autonomie ainsi que sur les caractéristiques psychologiques de l’apprenant (Loyens et al., 2008). Les recherches sur l’apprentissage autorégulé et les modèles qui en découlent visent pour leur part à mettre au jour les mécanismes psychologiques qui articulent l’autonomie dans l’apprentissage, soit les mécanismes qui font que l’apprenant parvient à se mettre au travail et à s’y maintenir pour atteindre ses buts, malgré les obstacles, en prenant le contrôle de ses processus d’apprentissage et de sa motivation. Notons que les recherches sur l’apprentissage autorégulé s’inscrivent dans le domaine de la motivation et de la métacognition.

Les points communs des modèles phares

Des nombreux travaux menés sur l’apprentissage autorégulé, cinq modèles théoriques (ceux de Winne, Pintrich, Corno, Zimmerman et Boekaerts) ressortent comme des modèles de référence. Développés entre la fin de la décennie 1980 et le début des années 2000, ces modèles qui contribuent chacun à enrichir ce concept, partagent certains points communs. D’abord, ils avancent que quatre conditions sont nécessaires à l’apprenant pour gouverner son apprentissage : avoir une motivation initiale suffisante, se définir un but à atteindre, pouvoir mettre en œuvre des stratégies d’autorégulation et être capable de s’auto-observer. Ensuite, ils articulent en trois phases le déploiement de l’autorégulation : la première phase, qui comporte des dimensions cognitive et motivationnelle, consiste à définir des plans et des buts (dimension cognitive) et à soupeser les aspects avantageux, mais aussi menaçants qui pourraient découler de la situation d’apprentissage (dimension motivationnelle); la deuxième phase — ou phase centrale de l’apprentissage autorégulé — est celle où l’apprenant est engagé dans la tâche et qu’à l’aide de stratégies d’autorégulation il tente de contrôler son action pour atteindre son ou ses objectifs. La troisième phase est celle où l’apprenant évalue avec du recul son activité, ce qui le mène à pouvoir faire évoluer ses croyances métacognitives, sa perception quant aux facteurs impliqués dans la réussite ou l’échec et sa vision de la compétence.

Dans tous les modèles, à l’exception d’un seul, la progression est non linéaire, puisque l’apprenant peut redéfinir ses plans et ses buts à mesure qu’il progresse dans son apprentissage. L’ajustement des buts est une importante stratégie d’autorégulation, et de ce fait, le but atteint à l’achèvement du parcours peut s’avérer différent de celui fixé au départ.

Motivation et volition

S’engager dans un apprentissage autorégulé demande un investissement considérable en efforts et en temps. La motivation et la volition sont deux composantes essentielles et interdépendantes que l’on retrouve dans ce processus. Pour envisager de se mettre au travail, l’apprenant doit être animé d’une motivation initiale couplée d’une intention d’exécution, ce dernier concept pouvant se résumer par la capacité à déterminer les conduites les plus susceptibles de mener à l’atteinte de ses objectifs et les situations les plus favorables pour les enclencher (Gollwitzer, 1999; Gollwitzer et Sheeran, 2006). La motivation initiale repose en grande partie sur la valeur que l’apprenant accorde à la tâche et sur sa croyance en sa capacité de l’accomplir, soit sur son sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 1986; modèle de Zimmerman dans Carré et Moisan, 2002). Dans l’apprentissage autorégulé, on parle plus précisément de motivation « initiale » en raison de la présence du concept de volition, qui renvoie pour sa part à l’action de se mettre au travail et d’y rester. Comme le résume Corno, dont les travaux sur la volition sont représentatifs du courant volitionnel de l’apprentissage autorégulé, « la motivation promeut une intention d’apprendre, la volition la protège » (2001).

Motivation et volition font partie de la conation, un concept plus vaste issu du domaine de la psychologie qui réfère à l’ensemble des processus psychiques permettant d’aboutir à l’action, par opposition à la cognition, qui désigne l’ensemble des processus psychiques qui mènent à la connaissance. Si la motivation a été beaucoup plus étudiée que la volition, cette dernière cible une problématique des plus actuelles en cette ère du numérique où les distractions abondent : la difficulté pour une majorité d’apprenants de se mettre au travail et d’y persévérer (Baillet et al., 2016; Poncin et al., 2017).

Buts multiples, dynamique conflictuelle et quête d’estime de soi

Sans buts, aucune conduite autorégulée n’est envisageable. Ce sont les buts, aussi qualifiés de buts d’accomplissement ou de compétence, qui servent de points de référence à l’apprenant pour jauger s’il doit en cours d’action modifier son comportement, et c’est à partir des buts qu’il peut évaluer après coup sa performance. Précisons qu’à la différence de l’apprentissage autodirigé, un but n’a pas nécessairement à être déterminé par l’apprenant lui-même. Pour favoriser l’engagement dans la tâche, un but doit être précis; et pour être plus motivant, il doit aussi ne pas être trop éloigné dans le temps — un retour d’information proximal est essentiel au processus d’apprentissage et à l’évaluation du progrès accompli. Enfin, dans la mesure où l’apprenant a les connaissances et les compétences pour atteindre son objectif, il tendrait à mobiliser davantage d’efforts si celui-ci comporte plus de défis que trop peu.

La conduite de l’apprenant qui autorégule son apprentissage est animée par deux priorités, deux grands buts qui sont liés à la représentation de soi : acquérir des connaissances et des compétences, mais aussi valider son soi. Ce second objectif est particulièrement important chez les apprenants adultes, puisque leur projet d’apprentissage est souvent inhérent à des enjeux identitaires, à un besoin de réalisation personnelle. Ce but implique une évaluation constante de la nature de la situation d’apprentissage dans cette perspective : elle peut être perçue comme « menaçante » pour l’estime de soi, si l’apprenant évalue que l’écart entre son bagage de connaissances et de compétences et la tâche à réaliser est trop grand, ou elle peut être vue comme « stimulante » si l’apprenant se sent équipé pour relever le défi et qu’il croit pouvoir y gagner davantage qu’y perdre.

Dans le premier cas, la nécessité de protéger son estime de soi en tentant d’amoindrir les émotions négatives déclenchées prendra le pas sur l’intention de performer dans la tâche; dans le second cas, l’apprenant pourra s’engager plus facilement dans l’apprentissage, alors qu’en réussissant à relever le défi son estime de soi pourra être valorisée et son soi actualisé positivement grâce à une perception nouvelle et avantageuse de lui-même. Comme le formulent Garcia et Pintrich (1994), « les apprenants régulent leur conduite pour faire advenir un soi positif, pour maintenir un soi actuel positif ou pour éviter d’actualiser une conception de soi négative ». Toutefois, même lorsqu’une dynamique d’apprentissage est mise en branle — par opposition à une dynamique de protection de l’estime de soi —, l’apprenant devra recourir à des stratégies volitionnelles (qui protègent l’intention d’apprendre) pour éviter d’être distrait et de succomber à des activités « concurrentes », souvent plus tentantes qu’une activité d’apprentissage, notamment lorsque celle-ci est imposée.

La conduite de l’apprenant est donc guidée par des buts multiples et contradictoires, conscients ou non, qui sont liés à la représentation de soi; et celui-ci doit sans cesse jongler avec la nécessité de prendre des risques afin de se réaliser et celle de préserver autant que possible un certain bien-être. L’une des raisons qui font l’intérêt du concept d’apprentissage autorégulé selon Laurent Cosnefroy est qu’il « réintroduit le conflit au cœur de l’apprentissage ». Ainsi plutôt que d’ignorer cet aspect rébarbatif, mais inhérent à l’apprentissage, le champ théorique de l’apprentissage autorégulé participe à en mettre au jour les mécanismes afin de proposer des façons de mieux les gérer.

Stratégies d’autorégulation

Trois facteurs orientent le choix d’une stratégie d’autorégulation de l’apprentissage : le but à atteindre, les caractéristiques de la tâche à accomplir et les ressources de l’apprenant. Les stratégies d’autorégulation se divisent en trois groupes : les stratégies cognitives et métacognitives, qui servent à optimiser le traitement de l’information; les stratégies volitionnelles, qui ont pour fonction de protéger l’intention d’apprendre; et les stratégies dites « défensives », qui visent à protéger l’estime de soi. Comme le souligne Laurent Cosnefroy, alors que le premier groupe de stratégies a fait l’objet de nombreuses études et qu’il est familier aux professionnels du milieu de l’enseignement, ce n’est pas le cas des stratégies volitionnelles, qui gagnent à être mieux connues en cette ère où les apprenants peinent à rester engager dans leurs apprentissages — tel que mentionné plus haut, des chercheurs (Baillet et al., 2016; Poncin et al., 2017) ont en effet noté dans la population universitaire étudiée que la volition était problématique pour une majorité d’étudiants.

En se basant sur les études portant sur les stratégies volitionnelles qu’il cite dans sa revue de littérature, Cosnefroy propose une taxonomie des stratégies volitionnelles (tableau I, para 38) pour pallier l’absence de consensus sur la question dans ce domaine — il existe en fait cinq taxonomies distinctes, et la difficulté à en créer une seule qui serve de référence réside dans la catégorisation des stratégies en question. Laurent Cosnefroy s’est inspiré de Corno (2001), dont les recherches sont représentatives du courant mettant l’emphase sur la volition, pour organiser sa taxonomie selon que la stratégie fait intervenir le contrôle direct des états internes ou leur contrôle indirect. Dans le premier cas, il est question de stratégies de régulation et de motivation qui impliquent l’attention, la motivation et l’émotion; alors que dans le second cas, il s’agit d’intervenir sur le contexte d’apprentissage pour avoir un impact indirect sur les états internes.

Les stratégies visant le contrôle des états internes sont :

  • l’activation d’un but d’approche, soit de rendre saillantes les raisons de poursuivre l’effort (ex. : s’autorécompenser);
  • l’activation d’un but d’évitement, soit de rendre saillantes les conséquences négatives d’un échec (ex. : déception des proches);
  • le soutien du sentiment d’efficacité personnelle (ex. : l’activation de souvenirs de réussite);
  • le contrôle de l’émotion (ex. : recherche de soutien auprès d’autrui).

Les stratégies visant le contrôle du contexte d’apprentissage sont :

  • la structuration de l’environnement, soit d’aménager le lieu de travail pour empêcher les distractions ou créer un climat motivationnel favorable (ex. : s’isoler);
  • l’accroissement des ressources disponibles, soit rendre la tâche plus maniable en obtenant des informations supplémentaires ou en renégociant la tâche prescrite (ex. : recherche de matériel en allant sur Internet ou en bibliothèque);
  • la structuration du temps, soit l’anticipation et la programmation des actions à mettre en œuvre (ex. : définition des doses de travail optimales).

Un concept qui embrasse la complexité de l’apprentissage

Bien qu’il manque encore d’unicité et qu’il lui reste des questions à creuser, le champ de l’apprentissage autorégulé nous offre un angle supplémentaire pour mieux saisir le processus d’apprentissage et l’autonomie de l’apprenant adulte dans toute leur complexité. Les chercheurs qui s’y intéressent ont notamment le mérite de tenir compte de la dimension conflictuelle de l’apprentissage, de l’importance de concept du soi dans la conduite de l’apprenant et des stratégies qu’il met en œuvre non seulement pour maintenir ou actualiser une perception positive du soi, mais aussi pour le protéger d’une actualisation négative du soi. Enfin, le champ de recherche de l’apprentissage autorégulé met de l’avant la notion de volition, une notion qui devrait plus que jamais être prise en compte comme complément essentiel à la motivation dans tout processus d’apprentissage.

Catherine Meilleur

Auteure:
Catherine Meilleur

Stratège en communication et Rédactrice en chef @KnowledgeOne. Poseuse de questions. Entêtée hyperflexible. Yogi contemplative.

Catherine Meilleur possède plus de 15 ans d’expérience en recherche et en rédaction. Ayant travaillé comme journaliste, vulgarisatrice scientifique et conceptrice pédagogique, elle s’intéresse à tout ce qui touche l’apprentissage : de la psychopédagogie aux neurosciences, en passant par les dernières innovations qui peuvent servir les apprenants, telles que la réalité virtuelle et augmentée. Elle se passionne aussi pour les questions liées à l’avenir de l’éducation à l’heure où se pointe une véritable révolution, propulsée par le numérique et l’intelligence artificielle.