Difficultés de concentration, manque de motivation, vagabondage mental… ça vous dit quelque chose? Que ces signes se manifestent dans le courant d’une journée ou de façon plus marquée à certaines périodes de la semaine, du mois ou de l’année, ils nous indiquent que nous sommes mûrs pour du repos. Or, nos vies exigeantes et la culture de performance dont nous peinons à nous détacher font que, trop souvent, nous les ignorons et persistons tant bien que mal à abattre notre boulot quotidien, que nous soyons travailleur ou étudiant. Et lorsque nous nous accordons ces pauses ou ces vacances bien méritées, il n’est pas rare de trouver ardu de décrocher et de se ressourcer pleinement. C’est qu’il ne s’agit pas de décider de se mettre au neutre pour que notre boîte à poux nous suive…

La bonne nouvelle c’est que les neurosciences nous ont récemment donné des clés pour mieux comprendre comment nous en venons à épuiser nos ressources cognitives et quelles stratégies peuvent nous permettre de les renflouer. Voici ce que vous devez savoir pour tirer le meilleur de vos moments de répit!

L’importance sous-estimée du repos

Nous savons tous qu’au cours d’une même journée notre énergie et nos capacités cognitives fluctuent. Notre vie est faite de cycles : d’une alternance entre l’éveil et le sommeil, d’un investissement dans nos tâches suivi d’un besoin de récupération, etc. Les nombreuses études ayant porté sur les conséquences d’une privation de vacances indiquent qu’en passant outre ces nécessaires périodes de déconnexion, nous mettons à risque notre santé mentale et physique. Fatigue, stress chronique, anxiété, troubles de concentration, de mémoire et de sommeil, problèmes de cœur et épuisement sont des maux qui nous guettent alors, et qui peuvent sérieusement entraver notre désir de rester actif et de nous sentir bien le plus longtemps possible.

Pourtant, on parle moins de l’importance de décrocher que de celle de manger sainement ou de faire de l’activité physique, ce qui peut être attribuable à cette impression que se reposer est facile, qu’il s’agit d’une tentation à laquelle nous devons le plus souvent résister; et avouons que « d’y succomber » est rarement dénué de culpabilité… C’est sans compter qu’avant que l’imagerie cérébrale fonctionnelle (IRMf) n’entre dans le monde de la recherche — surtout depuis le début des années 2000 —, les fins mécanismes du cerveau impliqués dans son « mode actif » et son « mode au repos » restaient en grande partie un mystère. Or, si on se doutait depuis longtemps que pour se reposer, un détachement psychologique était essentiel, on peut maintenant y ajouter la nécessité d’un changement d’activation des « systèmes », plus précisément des systèmes ayant été surutilisés dans le cerveau.

Ce cerveau à qui on en demande trop

On peut dire de notre cerveau qu’il fonctionne sur deux grands modes, deux grands états mentaux qui correspondent chacun à un réseau : le « réseau exécutif » et le « réseau par défaut » (RD), aussi appelé « réseau du mode par défaut » (RMD). Si on parle de réseaux — non plus de centres comme c’était le cas avant la contribution de Marcus Raichle à la découverte du fonctionnement du RD en 2001 —, c’est qu’il s’agit de réseaux de neurones impliquant des régions cérébrales pouvant être éloignées les unes des autres.

Le réseau exécutif, qui a pour siège le cortex préfrontal, gère nos fonctions cognitives de haut niveau, dont nos mécanismes attentionnels, notre mémoire de travail et nos capacités à communiquer, à planifier et à élaborer des stratégies. Très peu actif, voire inactif lorsque nous sommes au repos, c’est ce réseau qui se met en branle lorsque nous nous engageons dans une activité cognitive précise. De concert avec lui s’active un autre réseau neuronal que l’on appelle « système de détection d’erreurs » et qui implique les trois régions cérébrales que sont le cortex cingulaire antérieur, l’amygdale et l’insula. Ce système joue un rôle essentiel, entre autres, dans le traitement des émotions, qui sont indissociables de nos processus cognitifs (voir L’importance des émotions dans l’apprentissage).

Devoir jongler avec quantité d’objectifs censés être tous aussi pressants les uns que les autres met du sable dans l’engrenage de notre machine cognitive.

Au quotidien, toutes ces régions cérébrales déploient de l’énergie pour nous permettre d’atteindre nos objectifs. Notre mémoire de travail et notre système de détection d’erreurs sont particulièrement sollicités. Ce dernier doit sans cesse être aux aguets pour nous avertir lorsque nos stratégies semblent nous éloigner de nos buts. Ajoutons à cela que de devoir jongler avec quantité d’objectifs censés être tous aussi pressants les uns que les autres met du sable dans l’engrenage de notre machine cognitive. Comme l’explique le chercheur en neurosciences cognitives et spécialiste de l’attention Jean-Philippe Lachaux dans le dossier « Le cerveau en vacances » de Cerveau & Psycho : « Notre vie mentale est alors compliquée par le maintien simultané en mémoire de buts multiples qui entrent en compétition pour accaparer nos ressources cognitives. […] Cet empile­ment d’objectifs sans hiérarchie précise, tous apparemment importants et potentiellement urgents, encombre notre mémoire de travail (une quantité importante d’informa­tions doivent être mentalement acces­sibles à tout moment, ne serait-ce que pour nous souvenir de ce que nous avons à faire), procure la sensation désa­gréable d’être à la merci d’une erreur ou d’un retard et nous place en situation de conflit cognitif, d’où la sensation de fatigue mentale. »

Le fait d’être absorbé dans une tâche sans que notre attention soit « divisée » ou que notre esprit s’évade constamment n’est pas en soi source de fatigue, au contraire.

Cette sensation de fatigue mentale pourrait être attribuable, non pas à un manque du principal carburant du cerveau qu’est le sucre (glucose) — une hypothèse réfutée —, mais du moins en partie à une baisse de divers neurotransmetteurs qui n’ont pas eu le temps d’être à nouveau synthétisés. Vous ne serez sans doute pas surpris d’apprendre que la surabondance d’informations et la sollicitation numérique incessante qui caractérisent notre époque nuisent au traitement de priorisation des objectifs dans notre cerveau. « Nous pouvons tout faire en même temps : sans même bouger de ma chaise, je peux acheter un billet de train, discuter avec tous mes collègues, regarder une infinité de vidéos, apprendre la guitare… Par conséquent, il est beaucoup plus difficile d’établir une hiérarchie à chaque instant entre toutes les choses que nous pouvons faire, et cela induit tout naturellement un éparpillement de l’attention », précise Jean-Philippe Lachaux, cette fois-ci dans une entrevue qui porte l’éclairant titre Bien concentré, on est moins fatigué et moins stressé!. C’est que le fait d’être absorbé dans une tâche sans que notre attention soit « divisée » ou que notre esprit s’évade constamment n’est pas en soi source de fatigue, au contraire. « En étant totalement impliqué dans ce qu’on fait, sans chercher à faire plusieurs choses en même temps, on réduit également les conflits dans le cerveau : il n’y a plus de doute sur ce qui est important et sur ce qui ne l’est pas. […] Il n’y a pas d’interférence négative entre des régions cérébrales impliquées dans des processus cognitifs qui se contredisent. Il s’ensuit donc un sentiment d’apaisement : ce que l’on appelle couramment la surcharge mentale diminue », explique Lachaux.

On peut ici faire un lien entre cet état d’implication et l’état de flow (ou « flux » en français), soit « un état psychologique de profond bien-être, de concentration et de motivation intenses, qui est atteint lorsqu’une activité constitue un défi perçu comme étant égal ou légèrement supérieur aux habiletés que l’on possède ». Dans son livre Flow : La psychologie de l’expérience optimale (1990), le psychologue hongrois Mihaly Csikszentmihalyi à qui l’on doit ce concept exprime l’idée que le bien-être et le bonheur ne sont pas constants, mais que nous pouvons y tendre davantage en apprenant à atteindre plus souvent la zone du flow. Plutôt que de se sentir passifs et sous l’emprise de facteurs extérieurs, l’état de flow nous permet un contrôle sur le contenu de notre conscience — contrôle à ne pas confondre avec un contrôle excessif qui, au contraire, nuirait à l’émergence de cette « expérience optimale » (voir 8 clés pour l’engagement en apprentissage).

Revenons à notre quotidien effréné, où l’obligation de résultat qui pèse sur nous est moins propice à l’état de flow qu’au stress et à l’anxiété, deux états qui, s’ils deviennent chroniques, peuvent sérieusement entraver nos élans. « Face à un élément stressant, le corps produit des hormones de stress qui servent à combattre ou à fuir. Ces hormones s’acheminent vers le cerveau et ont une préférence marquée pour certaines régions impliquées dans l’apprentissage, la mémoire et la régulation des émotions », explique Sonia Lupien, neuroscientifique et directrice du Centre d’études sur le stress humain. Se penchant sur le mécanisme du stress et son effet sur la performance et la mémoire depuis plus de 20 ans, la chercheuse a mis au jour que notre attention sélective est l’un de nos premiers mécanismes à être affecté par le stress. « Lorsqu’un événement perturbateur survient, toute l’attention d’un individu est captée par cet événement. […] Disposant de ressources attentionnelles limitées, un individu ne peut pas traiter à la fois des informations concernant l’événement perturbateur (ici, le stresseur) et des items liés à la tâche de mémoire », rapportent Lupien et sa collègue Françoise Maheu dans leur étude de 2003.

Lorsque le combat ou la fuite ne nous semblent pas envisageables, c’est le sentiment d’impuissance qui nous guette.

« Des recherches chez l’animal ont clairement démontré que le stress et l’anxiété peuvent complètement bloquer le processus d’apprentissage », rappelle pour sa part que le neuroscientifique et spécialiste de l’apprentissage Stanislas Dehaene. C’est tout dire, vu l’importance de cette faculté chez l’être humain, peu importe son âge. Ajoutons, comme le précise Dominique Servant, psychiatre et psychothérapeute spécialisé en stress et anxiété, que la fatigue fait partie « des premiers signes qui marquent une difficulté d’adaptation (conséquences négatives du stress), quand l’organisme ne peut plus “recharger les batteries” ». Pour lutter contre le stress sur une base quotidienne, Sonia Lupien recommande les micro-pauses cognitives, le temps de laisser nos hormones de stress diminuer. « Si j’ai de la difficulté à me concentrer, je me lève et je pars promener le chien, par exemple. La micro-pause cognitive est essentielle surtout en ces temps de stress », rappelle la chercheuse.

Lorsque le combat ou la fuite ne nous semblent pas envisageables, c’est le sentiment d’impuissance qui nous guette. Dans sa capsule vidéo Comment se reposer et décrocher du boulot?, le docteur en neuropsychologie Guillaume Dulude nous avertit que d’ignorer la façon dont le cerveau se repose, « les règles » à respecter pour qu’il y parvienne, nous met plus à risque de ressentir cet état. « Quand on surutilise les mêmes systèmes et qu’on n’a donc pas de repos, on vit de l’impuissance », affirme-t-il, ajoutant que ce sentiment est l’un des plus grands générateurs d’émotions négatives chez les humains. « Quand un humain sent d’avance qu’il n’a pas les ressources pour faire face à un défi, ou qu’il sent que face à ce mur-là, il ne pourra pas atteindre l’objectif, ce sont des conditions idéales d’impuissance », souligne le docteur en neuropsychologie.

Sur le plan biochimique, Dulude précise que ce sentiment d’impuissance élevé a des conséquences non seulement sur notre niveau de cortisol, l’« hormone du stress », mais aussi sur notre taux de sérotonine, l’un des neurotransmetteurs qui, il le souligne, compte parmi les plus importants pour l’activation des émotions positives, dont le fait d’être capable de faire des choix, de se montrer vigilant, d’accomplir des tâches et de passer d’une tâche à l’autre efficacement ainsi que de décrocher. Alors qu’un sentiment d’impuissance élevé va de pair avec un taux de sérotonine inversement bas, le docteur en neuropsychologie rappelle qu’« on a besoin d’un pool (niveau) minimal de sérotonine dans le cerveau, principalement dans le lobe frontal et préfrontal, [soit] dans le centre exécutif […] ».

Pleins feux sur le réseau par défaut

Notre réseau exécutif est donc, jour après jour, fortement sollicité. Or, nous savons tous que nos pensées contrôlées et volontaires, qui sont sous la gouverne de ce réseau, laissent très fréquemment place à ce que l’on peut qualifier de pensées spontanées, de rêveries ou de vagabondage mental. Une enquête réalisée en 2010 par l’Université Harvard nous apprenait à ce propos que nous passons pratiquement la moitié (46,9 %) de nos journées « dans la lune », état dans lequel notre cerveau est sur le mode du réseau par défaut. Ce dernier n’est pas le seul réseau fonctionnel de l’état de repos, mais il est celui dont la consommation d’énergie est la plus importante et dont les connexions sont les plus fortes et les plus constantes. Depuis sa mise au jour au début des années 2000, il a suscité un intérêt considérable chez les chercheurs, ce qui a permis de percer quelques-uns de ses mystères.

Nous passons pratiquement la moitié (46,9 %) de nos journées « dans la lune », état dans lequel notre cerveau est sur le mode du réseau par défaut.

On sait maintenant que plusieurs des régions cérébrales où passe ce réseau font aussi partie du réseau exécutif et, étonnamment, ces zones deviennent plus actives lorsque nous sommes en mode réseau par défaut que lorsque nous sommes concentrés à une activité cognitive spécifique. Comme le résume Marcus Raichle, neurologue et professeur de radiologie à la Washington University School of Medicine (Saint Louis, Missouri) : « Nous avons tendance à penser que lorsque nous ne sommes pas occupés avec de telles activités, notre cerveau est “libre”, ou plus passif, et nous pensons automatiquement que nous utilisons le cerveau principalement pour résoudre des tâches difficiles, ou pour contrôler des activités orientées vers un but. » Or, c’est bel et bien le contraire que l’éminent neurologue et son équipe ont pu constater par imagerie cérébrale dans leur étude de 2001, alors que les participants devaient accomplir des tâches cognitives précises. « Nous avons été vraiment surpris qu’après la fin des tâches exigeantes, l’activité dans ces zones du cortex ait de nouveau augmenté. Le cerveau semblait revenir à un niveau d’activité par défaut qui est là en l’absence d’une tâche spécifique, continue et externe. Nous avons donc décidé d’y regarder de plus près. Nous le comprenons maintenant comme un réseau spécial dans le cerveau qui, paradoxalement, est plus actif lorsque nous ne sommes pas impliqués dans une tâche orientée vers un but », précise Raichle.

Les processus mentaux associés au réseau par défaut sont de nature plutôt introspective. Ils comprennent non seulement la capacité à réfléchir sur soi, à se remémorer des souvenirs et à faire des projections d’avenir, mais aussi la faculté de décoder les états mentaux, les émotions et les comportements d’autrui — ce qu’on appelle la cognition sociale. Bref, c’est bien « là » que nous nous trouvons lorsque nous sommes dans la lune… et si nous bataillons la plupart du temps pour ramener notre attention à l’ordre, c’est que nos ressources attentionnelles sont au cœur d’une lutte incessante entre notre réseau exécutif et notre réseau par défaut, comme l’a démontré en 2011 une équipe de chercheurs de l’Inserm dirigée par Jean-Philippe Lachaux et Karim Jerbi. Mesurant pour la première fois l’activité électrique des neurones du réseau par défaut, leur étude a révélé qu’aussitôt que notre attention se porte sur un objet extérieur, le réseau par défaut se déconnecte, et qu’il ne lui faut qu’un dixième de seconde pour se reconnecter ou se déconnecter à nouveau. « Dans mon laboratoire à Lyon, nous avons montré, au moyen d’une tâche d’attention visuelle très simple, que l’activité du réseau par défaut revient à son niveau normal dès la tâche terminée, et ce en une fraction de seconde », décrit Jean-Philippe Lachaux. « Le cerveau semble donc remplir tous les moments “de vide” sans consigne explicite avec le réseau par défaut, selon ce qui semble bien ressembler à un principe de vases communicants », ajoute-t-il. C’est un troisième grand réseau neuronal, le réseau neural de saillance, qui permettrait ce basculement entre le réseau par défaut et le réseau exécutif.

Différentes hypothèses ont été avancées pour expliquer les fondements de ce processus de va-et-vient entre les deux réseaux. Pour certains chercheurs, il pourrait s’agir d’une stratégie d’économie d’énergie comparable à la mise en veille d’un ordinateur, alors que pour d’autres ce serait plutôt une façon de maintenir l’activation minimale de certaines connexions neuronales pour éviter qu’elles disparaissent. D’autres chercheurs encore pensent que ce mécanisme pourrait nous aider à mieux faire face à toute éventualité. « Il s’agit d’un processus dynamique et évolutif, qui n’arrête pas de tourner. Selon nous, le cerveau cherche constamment à rétablir un équilibre entre les mondes intérieur et extérieur, ce qui sous-entend qu’il nous permet d’éviter les mauvaises surprises en faisant des hypothèses sur l’avenir », avance le neurologue Andreas Kleinschmidt dans le journal Le Monde.

Favoriser l’équilibre jusqu’au niveau neuronal

L’étude de 2011 de l’équipe de l’Inserm semble indiquer que l’activation du réseau par défaut procurerait au réseau exécutif une pause lui permettant d’être plus efficace. Cela dit, cette activation n’entraîne pas nécessairement une sensation de détente et de bien-être. L’enquête de Harvard mentionnée précédemment rapportait d’ailleurs que plus nous sommes dans la lune, plus nous avons tendance à être malheureux, et qu’au contraire, plus nous sommes investis dans une activité, quelle qu’elle soit, plus nous nous sentons satisfaits. Notons que dans cette enquête, les chercheurs avaient pu préciser que le vagabondage mental de leurs sujets était bien en général la cause, et non la conséquence, de leur malheur.

Il n’est pas rare chez une personne en santé que ce réseau s’emballe plus que nécessaire, la faisant passer de la rêverie à la rumination.

Il est démontré qu’une activité anormale du réseau par défaut peut, dans les cas les plus graves, être un signe de maladie neurodégénérative ou neuropsychiatrique. Cependant, il n’est pas rare chez une personne en santé que ce réseau s’emballe plus que nécessaire, la faisant passer de la rêverie à la rumination, la mettant ainsi plus à risque de souffrir de troubles de l’attention, d’anxiété et de dépression. Jean-Philippe Lachaux nous incite d’ailleurs à être vigilants à cet effet en vacances : « Il n’est pas forcément reposant d’être assis sur une plage ou face à un paysage de montagne, si l’on passe tout son temps perdu dans des scénarios passés ou à venir. […] En relâchant l’emprise sur notre emploi du temps et sur notre activité mentale, les vacances laissent donc plus de temps à ces moments de vide sans objectif précis. Cela peut être agréable, mais attention à ne pas tomber dans le piège de la rumination. »

Le point positif c’est qu’il est, pour la plupart d’entre nous, possible de préserver son réseau par défaut de la surchauffe. Des études ont en effet démontré que la méditation, notamment de type pleine conscience — cette forme de méditation où l’on se concentre sur sa respiration et son état intérieur —, peut diminuer l’activité dans le réseau par défaut (Garrison et al., 2015), renforcer ses connexions (Zeidan et al., 2010) de même que favoriser les fonctions exécutives et l’attention soutenue (Valentine et Sweet, 2007 ; Zeidan et al., 2010). Et les bénéfices pourraient se faire sentir après quelques semaines, voire quelques jours seulement de pratique. Outre l’idée d’intégrer la méditation à son hygiène de vie, nous aurions intérêt à respecter certains critères lorsque vient le temps de choisir une activité dans nos moments de pauses ou en vacances. « N’avoir qu’une chose à faire et une seule, dans un délai raisonnable et sans focali­sation excessive sur notre performance », c’est ce que recommande Jean-Philippe Lachaux, qui suggère d’opter pour un type d’activité mentale qu’il qualifie d’« intermédiaire » comme les sudoku, les mots croisés, les simples balades, le coloriage et les autres loisirs créatifs. « Bien sûr, l’esprit s’évade parfois dans des pensées, mais il est régulièrement ramené à sa tâche principale. Les vacances sont alors l’occasion de ne se donner à faire qu’une chose à la fois, sans obligation de résultat et c’est peut-être là leur secret. Un cerveau au repos n’est pas tant un cerveau inactif (c’est impossible), qu’un cerveau totalement impliqué dans son activité du moment, sans autre perspective », ajoute Lachaux.

Dans l’idéal, nos moments de repos devraient aussi nous permettre de nous laisser aller à des réflexions plus profondes et constructives sur nous-mêmes.

En plus d’essayer de calmer l’activité de son réseau par défaut et de laisser son réseau exécutif renouveler ses neurotransmetteurs épuisés, il serait aussi bénéfique de cultiver une saine évasion de l’esprit. « Il est de plus en plus évident que cette pensée non dirigée est cruciale pour consolider son identité et donner du sens à sa vie. Malheureusement, dans le train-train quotidien, nous sommes souvent trop occupés à accomplir une tâche après l’autre, ce qui nous empêche de nous laisser aller à ce que j’appelle une réflexion interne constructive », rappelle la neuroscientifique et psychologue Mary Helen Immordino-Yang (2012) dans l’article « Le cerveau aussi a besoin de vacances » du Québec Science. D’après elle, la flexibilité du cerveau à passer du mode exécutif au mode par défaut et vice-versa, ainsi que la robustesse des connexions du réseau par défaut seraient liées notamment à un plus grand sentiment de bien-être.

Dans l’idéal donc, nos moments de repos ne devraient pas servir uniquement à se « changer les idées » ou à « changer le mal de place »; ils devraient aussi nous permettre de nous laisser aller à des réflexions plus profondes et constructives sur nous-mêmes. À ce chapitre, on peut faire un rapprochement entre ce type d’introspection, l’état méditatif et la métacognition, puisque tous ces états surviennent dans un mode attentionnel apaisé ayant dépassé le sautillement de la pensée et qui nous permet de prendre conscience de nos processus mentaux et d’agir sur eux.

Le bon plan de match pour récupérer à fond

Au début de cet article, nous avons déploré le fait que l’on n’accorde pas encore au repos l’importance qu’il mériterait à titre de saine habitude de vie. Or, le monde du sport fait figure d’exception à ce chapitre, et depuis longtemps. En effet, tout programme d’entraînement digne de ce nom comprend des périodes de récupération — des tapers, comme on dit dans le jargon —, qui sont judicieusement planifiées par l’entraîneur, puisqu’elles jouent un rôle non négligeable dans la bonne forme et les performances de l’athlète. « La récupération, c’est très connu dans le sport, ce n’est pas à prendre à la légère. Ça fait partie de l’entraînement. Ce n’est pas “rien”. Le repos “est” stratégique », insiste Guillaume Dulude dans sa capsule vidéo Comment se reposer (réellement!), lui qui, en plus d’être docteur en neuropsychologie, est un ancien nageur de haut niveau. Il ajoute que « les athlètes qui ne sont pas capables de se reposer, même s’ils font moins de sport, ont tendance à ne pas être capables de récupérer à leur plein potentiel avant une compétition ».

Si en faire moins ne mène pas nécessairement à récupérer, essayer très fort de ne rien faire pour renflouer nos réserves d’énergie risque de provoquer l’effet inverse à celui recherché. « Le repos efficace provient d’un processus de récupération naturel; donc ça ne vient pas avec l’action ou la volonté de se reposer. Le repos vient avec la désactivation d’un système, qu’il soit neuro-anatomique, musculaire ou cellulaire », précise le docteur en neuropsychologie. Ce qui est d’autant plus évident lorsqu’il est question de nos ressources mentales. Si vous avez déjà souffert d’insomnie, vous savez que de porter toute son attention à essayer de tomber dans les bras de Morphée s’avère un excellent moyen de rester éveillé. Il en va de même pour le méditant qui débute et qui, à trop vouloir chasser ses pensées se trouve, au contraire, de plus en plus envahi par celles-ci.

Avec de la pratique tous les espoirs sont permis, puisque le cerveau, à tout âge, a cette capacité de se modifier à la suite de nouveaux apprentissages.

« Il ne s’agit pas de bloquer les pensées et de faire le vide… ça ne marche pas! », confirme le moine bouddhiste Matthieu Ricard, qui pratique la méditation depuis des décennies et collabore à la recherche en neurosciences sur les impacts de la méditation sur le cerveau et la santé. Dans le cas de la pratique méditative, la bonne posture réside plutôt selon lui à « laisser passer les pensées comme des oiseaux qui traversent le ciel ». Facile à dire, beaucoup moins à faire! Mais avec de la pratique tous les espoirs sont permis, puisque le cerveau, à tout âge, a cette capacité de se modifier à la suite de nouveaux apprentissages; une propriété que l’on nomme « neuroplasticité » et qui se traduit par la création de nouvelles connexions neuronales.

Jean-Philippe Lachaux exprimait plus haut qu’un cerveau au repos est « un cerveau totalement impliqué dans son activité du moment ». À cela, il faudrait ajouter selon Guillaume Dulude — pour qu’un cerveau puisse vraiment récupérer — que cette activité doit sortir notre boîte à poux de ses habitudes et être planifiée. « Dans une stratégie de repos, de vacances, il faut “stratégiquement” faire en sorte qu’on ne sollicitera pas les mêmes structures cognitives, les mêmes réflexes, les mêmes systèmes de pensée, les mêmes habitudes qu’on utilise normalement lorsqu’on travaille, lorsqu’on dépense de l’énergie », explique Dulude. À titre d’exemple : une personne qui travaille en relation d’aide et dont les mécanismes d’écoute et d’empathie sont très sollicités devra, pour se ressourcer, se tourner vers une activité qui ne sollicite pas ou qui sollicite peu ces mécanismes, comme une activité sportive.

Sans un effort conscient et planifié de notre part pour sortir de nos habitudes, le cerveau tend à reproduire les comportements qu’il connaît bien et qui lui ont valu une récompense.

Si le docteur en neuropsychologie insiste sur l’importance d’une approche stratégique, c’est que sans un effort conscient et planifié de notre part pour sortir de nos habitudes, le cerveau tend à reproduire les comportements qu’il connaît bien et qui lui ont valu une récompense, soit un renforcement sous forme de décharge dopaminergique. « Ce n’est pas si simple, parce que le cerveau aime ça, il est habitué d’aller chercher sa dopamine d’une certaine façon et souvent quand on tombe en vacances officiellement, on a le goût de faire les mêmes choses que lorsqu’on n’est pas en vacances », dit Guillaume Dulude. Rappelons que la dopamine, qui agit comme neurotransmetteur, est parfois appelée l’« hormone du bonheur ». Lorsqu’on tente d’atteindre un objectif de longue haleine et pour lequel on n’obtient pas de satisfaction immédiate, notre organisme sait à tout le moins qu’il aura droit à une intense décharge de dopamine au fil d’arrivée.

Et attention! Aller prendre un verre, manger au resto ou sortir au cinéma ne fonctionne pas, puisque ces activités sont passives prévient Dulude, en précisant dans sa capsule Le repos et la diversification des intérêts que c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles les activités que nous privilégions souvent en vacances ne sont pas celles qui procurent le repos le plus efficace. « Tout ce qui est passif ou exogène ne marche pas. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire; je dis juste que le cerveau ne relaxera pas de la même façon, parce que c’est trop facile “de la consommation”. Donc tout ce qui est consommation, c’est-à-dire un renforcement externe, tout ce qui est psychotrope, va donner un repos superficiel à court terme, mais ne va pas recharger. Il n’y aura pas eu assez de profondeur dans le fait que le cerveau s’est désactivé dans une tâche », précise-t-il. Il faut donc opter pour des activités qui exigent une réelle implication de notre part.

Revenons au concept d’état de flow pour préciser que si cet état peut être atteint en mobilisant certaines compétences ou habiletés, il n’est pas limité à un type d’activité. Cuisiner, lire ou jouer d’un instrument de musique sont autant de voies qui peuvent nous y mener selon Mihaly Csikszentmihalyi, même si ce dernier perçoit des « similitudes extrêmement fortes » entre le flow et une activité en particulier : le yoga. « En fait, il est logique de penser au yoga comme une activité de flow très bien planifiée. Les deux tentent d’atteindre une implication joyeuse et détachée de soi par la concentration, qui est à son tour rendue possible par une discipline du corps », explique-t-il dans son ouvrage phare, Flow : La psychologie de l’expérience optimale (1990).

Bref, aider notre cerveau à se « recharger » nous demande paradoxalement un effort; effort qui peut représenter un défi pour ceux qui ont tendance à s’investir dans une seule activité… qui est souvent, de surcroît, leur activité professionnelle. Ce qui incite Guillaume Dulude à nous recommander, dans une approche stratégique globale de repos et de mode de vie sain, de voir aussi à diversifier nos intérêts : « Pour moi, c’est un thème central. Les gens qui, pour différentes raisons, ont investi dans peu de domaines dans leur vie, qui sont extrêmement bons dans quelque chose, mais qui ont peu de diversification, donc qui peuvent donner beaucoup d’énergie dans un seul domaine, mais quand la pile est brûlée, elle est “brûlée”… c’est très long avant de se recharger. On en voit beaucoup en consultation. »

Pour ceux que rebute l’idée de devoir sortir de leur zone de confort pour arriver à se reposer, Dulude propose d’y aller graduellement, la meilleure stratégie étant selon lui d’explorer des activités qui ont déjà pu nous tenter, mais que nous n’avons pas encore eu la chance d’essayer; d’entrevoir cette perspective comme un cadeau, une occasion de tenter quelque chose de nouveau. « Le cerveau adore ça : la nouveauté et l’apprentissage, c’est la meilleure stratégie de ressourcement qui existe! », conclut Guillaume Dulude.

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Le repos est essentiel à notre bien-être global, à court et à plus long terme. En abordant de façon stratégique nos moments de pauses et nos vacances, nous nous donnons non seulement toutes les chances de décrocher, mais aussi de nous ressourcer pleinement. Vous l’aurez compris, sans une démarche planifiée pour amener votre cerveau à sortir de ses habitudes, lui qui a horreur du vide risque fort de n’en faire qu’à sa tête et de vous entraîner sur des chemins pour le moins escarpés. Vous pouvez vous encourager du fait que le choix des activités vous revient, et que celles-ci pourront non seulement vous aider à décrocher, mais aussi à mieux vous connaître et, qui sait, à développer de nouvelles passions!

Catherine Meilleur

Auteure:
Catherine Meilleur

Rédactrice de contenu créatif @KnowledgeOne. Poseuse de questions. Entêtée hyperflexible. Yogi contemplative

Catherine Meilleur possède plus de 15 ans d’expérience en recherche et en rédaction. Ayant travaillé comme journaliste, vulgarisatrice scientifique et conceptrice pédagogique, elle s’intéresse à tout ce qui touche l’apprentissage : de la psychopédagogie aux neurosciences, en passant par les dernières innovations qui peuvent servir les apprenants, telles que la réalité virtuelle et augmentée. Elle se passionne aussi pour les questions liées à l’avenir de l’éducation à l’heure où se pointe une véritable révolution, propulsée par le numérique et l’intelligence artificielle.