Notre compréhension de l’apprentissage a fait un bond en avant ces dernières années notamment grâce aux neurosciences. C’est sans compter un intérêt grandissant pour des approches toujours plus humaines en enseignement qui tiennent compte du fait que cognition et émotions sont indissociables, contrairement à ce que l’on a longtemps cru… Apprenants et enseignants, voici des conseils à la fine pointe de la recherche pour un apprentissage optimal!

Conseils aux apprenants

Devenir maître de son système attentionnel

« En 2005, Sergent, Baillet et Dehaene ont levé le voile sur les mécanismes cérébraux impliqués dans le clignement attentionnel, un phénomène — comparable au clignement des yeux — d’interruption temporaire, inconsciente et répétitive de notre attention. Or, ce clignement attentionnel fait en sorte que lorsque notre attention passe rapidement d’une tâche à une autre, nous sommes plus susceptibles d’échapper des informations que lorsque nous sommes concentrés sur une seule tâche. Ces chercheurs ont calculé qu’au moins 0,25 secondes sont nécessaires pour que le cerveau enregistre et manipule les informations sensorielles nécessaires à l’accomplissement de chacune des tâches. » —Sommes-nous vraiment doués pour le multitâche?

L’attention est le premier des quatre piliers de l’apprentissage mis en lumière par le neuroscientifique et professeur en psychologie cognitive Stanislas Dehaene (voir Neurosciences : apprendre en 4 temps et 5 facteurs qui influencent le processus de mémorisation). Or, les sources de distractions n’ont jamais été aussi fortes et nombreuses qu’en cette ère du numérique et des écrans omniprésents. Si nous avons déjà cru que notre cerveau avait l’habileté de jongler avec plusieurs tâches à la fois, cette idée a bel et bien été réfutée par la science (voir Sommes-nous vraiment doués pour le multitâche? et L’attention en chiffres).

L’apprenant d’aujourd’hui a tout intérêt à s’aménager un espace mental et physique pour ses moments d’études où les sources de distractions sont les plus réduites possible. Mais ce n’est pas tout. Jean-Philippe Lachaux, chercheur en neurosciences cognitives et spécialiste de l’attention, explique dans le dossier Les super pouvoirs du cerveau du Sciences et Avenir (septembre 2021) qu’il faut par-dessus tout apprendre à maîtriser son système attentionnel en évitant les situations où l’on s’expose à accomplir plus d’une tâche à la fois. Pour y parvenir, il suggère une approche par « bulles temporelles d’attention », qui consiste à se concentrer sur un seul objectif précis à la fois pour une courte durée, cela afin d’augmenter nos chances d’y parvenir. Il est aussi judicieux selon le neuroscientifique de décomposer les objectifs complexes en plusieurs tâches plus simples et d’en faire des « mini-missions ». Enfin, Lachaux recommande d’être plus attentifs aux signes avant-coureurs de la distraction (posture, agitation, etc.).

Croire en sa capacité cérébrale et en son efficacité personnelle

« Tel que l’explique Jacques Lecomte dans son article sur les applications de ce sentiment du numéro Autour de l’œuvre d’Albert Bandura de la revue Savoirs : « Des personnes différentes avec des aptitudes identiques, ou la même personne dans des circonstances différentes, peuvent donc obtenir des performances faibles, bonnes ou remarquables, selon les variations de leurs croyances d’efficacité personnelle. Certes, le niveau initial de compétences influe sur les performances obtenues, mais son impact est fortement médiatisé par les croyances d’efficacité personnelle. » » —Au cœur du sentiment d’efficacité personnelle

À la question « Tout le monde peut tout apprendre? » posée à Stanislas Dehaene dans une entrevue sur l’efficacité inégalée du cerveau humain du Sciences et Avenir (septembre 2021), le neuroscientifique répond qu’« il faut avoir confiance dans propre capacité cérébrale », précisant qu’à l’exception de cas particuliers de troubles de l’apprentissage, nous pouvons tous apprendre, dans la mesure où nous y consacrons un effort. Devant un défi, plutôt que d’avoir une attitude qu’il qualifie de « fixiste » pouvant se traduire par « je n’ai pas l’intelligence pour, je suis nul », il vaut mieux adopter l’attitude « plastique » qu’il précise être « scientifiquement parlant la plus juste » et qui consiste à se dire « je vais devoir faire un effort supplémentaire pour y arriver ». Ces constats de Dehaene peuvent être mis en parallèle avec la notion du sentiment d’efficacité personnelle ou d’auto-efficacité au cœur de la théorie sociocognitive de l’éminent psychologue Albert Bandura et que celui-ci qualifie de mécanisme central de la gestion de soi inhérent à notre motivation, nos accomplissements et notre bien-être (voir Au cœur du sentiment d’efficacité personnelle).

La persévérance et les performances de l’apprenant ne reposent pas uniquement sur ses compétences « objectives », mais entre autres aussi sur son sentiment d’efficacité personnelle, (voir L’apprenant et le sentiment d’efficacité personnelle). Ce sentiment a une influence à la fois directe et indirecte sur son comportement. Dans le premier cas, il lui permet de mobiliser et d’organiser ses compétences, et dans le second, il influence ses choix d’objectifs et d’actions. En psychologie de l’éducation, il y a consensus pour affirmer que de se sentir compétent et en contrôle a une incidence sur l’engagement et les performances. Cette corrélation est d’ailleurs attestée non seulement pour le sentiment d’efficacité personnelle, mais aussi pour les notions connexes que sont la compétence perçue et le concept de soi.

Bien que les enseignants aient un rôle important à jouer dans le développement du sentiment d’efficacité personnelle de leurs apprenants, ces derniers ont tout de même intérêt à se conscientiser sur cette notion. Ils doivent d’abord savoir que ce sentiment étant relativement flexible, il est possible dans la plupart des cas d’intervenir sur lui, et ce, de plusieurs façons. C’est sans compter qu’il a l’avantage d’être spécifique (à une tâche, une matière, une activité, un domaine d’activités). Les apprenants doivent aussi être au fait que relever des défis est l’une des meilleures façons d’améliorer son auto-efficacité, et que plus une personne est convaincue de pouvoir s’améliorer, plus elle tend à faire des choix pour y arriver.

En général, les apprenants qui ont un faible sentiment d’efficacité attribuent leurs piètres performances à un supposé manque d’aptitude — un facteur sur lequel ils ont peu de contrôle —, alors que ceux qui jouissent d’un fort sentiment d’efficacité sont enclins à attribuer leurs revers à un manque soit d’efforts, de connaissances ou de savoir-faire — des facteurs sur lesquels ils ont un contrôle. Pour avoir une vision plus constructive de son efficacité personnelle, il est important de développer sa capacité à s’autoévaluer, une aptitude qui relève de la métacognition (voir La métacognition en 3 questions et Développez vos compétences métacognitives).

Varier les activités de mémorisation

« Plus un apprentissage suscite la curiosité de l’apprenant, plus sa mémoire serait disposée à le retenir. Les « devinettes » ou les questions portant sur des connaissances que l’apprenant possède seraient tout indiquées à cet effet. Réfléchir, chercher à comprendre et formuler des prédictions contribueraient aussi à une meilleure rétention de l’apprentissage. » —Neurosciences : apprendre en 4 temps

Dans l’article Les 7 clés de l’apprentissage du Sciences et Avenir (septembre 2021), le professeur québécois en neuroéducation Steve Masson, tout comme Stanislas Dehaene, insiste sur la nécessité d’engager activement son cerveau, « de garder celui-ci dynamique dans un engagement actif » afin qu’il puisse « modifier la façon dont les neurones sont interconnectés » — une transformation qui représente physiologiquement parlant un apprentissage. Le type d’enseignement privilégié a en général une incidence sur ce facteur. Dans un cours magistral où la participation des apprenants est peu sollicitée, ceux-ci peuvent s’engager de manière plus active selon Masson en misant sur une bonne concentration.

Répéter une leçon est le plus souvent essentiel pour que le cerveau consolide un nouvel apprentissage; mais répéter toujours de la même façon et « passivement » de surcroît, en se limitant à relire ses notes, n’est en général pas optimal. Pour garder le cerveau allumé dans l’apprentissage ou « activement engagé » — deuxième pilier de l’apprentissage —, il est recommandé de le mettre au défi en alternant les activités de révision propices à la mémorisation : reformuler, schématiser, questionner, se faire questionner, etc. Se tester permet non seulement d’identifier ses acquis et ses lacunes, mais aussi de favoriser l’enregistrement des apprentissages dans sa mémoire à long terme (Roediger et al., 2010).

Répartir les révisions dans le temps est conseillé puisque de les enchaîner coup sur coup diminuerait l’activité cérébrale dans les circuits impliqués, alors que de les espacer aurait pour effet de l’augmenter (Bradley et al., 2015). Un délai de 24 heures est recommandé pour les premières séances, entre autres pour profiter de l’activité de consolidation des apprentissages (quatrième pilier) qui se fait dans le cerveau durant le sommeil, alors que ceux-ci sont rejoués en boucles. En fait, les habitudes de sommeil ont un impact notable sur les différentes fonctions impliquées dans l’apprentissage, sur le volume de la matière grise ainsi que sur le développement du cerveau en général.

À ces conseils, il faut ajouter que la mémorisation et l’apprentissage sont des processus hautement complexes qui sont influencés par nombre de facteurs propres à chaque individu et qui peuvent, de surcroît, varier selon le contexte. On pense notamment à la motivation, à l’intérêt pour l’apprentissage en question, aux objectifs personnels, aux émotions, à tout ce qui relève de la métacognition, au rapport que l’apprenant entretient avec l’enseignant, etc. Il faut donc se rappeler que les découvertes sur le potentiel de certaines approches dans ce domaine doivent être relativisées. Tel que le souligne Henry Roediger dans sa publication intitulée La relativité de la mémoire : Pourquoi les lois de la mémoire ont disparu (Annual Review of Psychology, 2008) où il passe en revue nombre d’études sur la mémoire à long terme à la lumière de la tradition des psychologues expérimentaux/cognitifs : « Le principe le plus fondamental de l’apprentissage et de la mémoire, peut-être même sa seule sorte de loi générale, est qu’en faisant toute généralisation sur la mémoire, il faut ajouter que « ça dépend ». Bien sûr, seule la recherche à venir pourra typiquement dire si un résultat est largement généralisable ou s’il n’est valable que dans un ensemble restreint de conditions. »

Savoir décrocher intelligemment

« Si en faire moins ne mène pas nécessairement à récupérer, essayer très fort de ne rien faire pour renflouer nos réserves d’énergie risque de provoquer l’effet inverse à celui recherché. « Le repos efficace provient d’un processus de récupération naturel; donc ça ne vient pas avec l’action ou la volonté de se reposer. Le repos vient avec la désactivation d’un système, qu’il soit neuro-anatomique, musculaire ou cellulaire », précise le neuropsychologue Guillaume Dulude. » —Comment aider son cerveau à décrocher!

Pour avoir le goût et l’énergie de s’engager activement dans un apprentissage, il est nécessaire de savoir décrocher et se ressourcer (voir Comment aider son cerveau à décrocher!). La mémoire de travail ainsi que le système de détection d’erreurs du cerveau sont particulièrement sollicités lorsque nous apprenons. C’est sans compter toutes les distractions auxquelles nous sommes soumis qui divisent notre attention, ce qui, contrairement à un état de concentration, fatigue le cerveau. Un peu à la manière d’un entraînement physique profitable, il faut aussi dans l’entraînement cognitif viser un équilibre entre la dépense d’énergie et le repos. Or, le cerveau a de particulier qu’il ne s’arrête jamais, en plus de tendre à reproduire les comportements qu’il connaît bien et qui lui ont valu une récompense (sous forme de dopamine).

Les activités que l’on peut qualifier cognitivement parlant d’« intermédiaires » comme aller marcher, colorier ou faire des mots croisés sont indiquées pour les courtes pauses quotidiennes. Précisons qu’un peu comme durant le sommeil, il a été observé que lors des pauses les neurones du cerveau rejouent en accéléré les apprentissages récents (Buch et al., 2021). Cela dit, pour que le cerveau puisse réellement récupérer, il faut choisir une activité qui le sort de ses habitudes. Tel que l’explique le neuropsychologue Guillaume Dulude dans sa capsule vidéo Comment se reposer (réellement!), « dans une stratégie de repos, de vacances, il faut “stratégiquement” faire en sorte qu’on ne sollicitera pas les mêmes structures cognitives, les mêmes réflexes, les mêmes systèmes de pensée, les mêmes habitudes qu’on utilise normalement lorsqu’on travaille, lorsqu’on dépense de l’énergie ». Dans cette optique, il est primordial de diversifier ses intérêts et d’oser relever de nouveaux défis, y compris dans nos loisirs. Et attention de surévaluer l’efficacité d’activités que l’on peut qualifier de « passives » comme d’aller prendre un verre, de manger au resto ou de sortir au cinéma… Ce qui est passif et exogène (comme un psychotrope) ne procure au cerveau qu’un repos superficiel et à court terme selon Guillaume Dulude. Il est donc impératif de se tourner vers des activités qui exigent une réelle implication de notre part.

Conseils aux enseignants

Tenir compte des émotions

« Apprendre implique de remettre en question ce qu’on croyait savoir, de s’ouvrir à de nouvelles idées et à davantage de complexité, et de déployer des efforts sans en connaître forcément l’aboutissement. Bref, c’est une démarche déstabilisante qui, bien qu’elle comporte son lot d’émotions positives, ne peut préserver de ressentir toute émotion négative. Il est primordial de rappeler ce fait à l’apprenant, de l’encourager à s’exprimer sur ce qui le déstabilise dans son parcours et de lui donner les ressources nécessaires pour l’aider. » —L’importance des émotions dans l’apprentissage

Si l’on a longtemps cru qu’apprendre était un processus strictement rationnel dans lequel les émotions n’avaient que peu ou pas d’incidence, nous savons aujourd’hui que nous faisions fausse route. Rappelons que dans le cerveau, tous les processus cognitifs, émotions incluses, se traduisent par des processus neuronaux. Et les émotions tiennent un rôle à ce point important dans la cognition qu’elles peuvent servir de levier ou, au contraire, devenir un frein dans l’apprentissage comme dans la restitution des connaissances (voir L’importance des émotions dans l’apprentissage et 4 émotions de l’apprentissage).

Les émotions peuvent affecter l’apprenant à différents stades du processus d’apprentissage. Elles sont susceptibles d’avoir un impact soit positif soit négatif sur son attention, sa motivation, ses stratégies d’apprentissage et sa capacité à l’autoréguler. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’une émotion est positive, au sens large, qu’elle est forcément bénéfique au processus d’apprentissage. Pour être utile à ce processus, l’émotion doit être liée à l’apprentissage ou à des tâches d’apprentissage, autrement, elle peut nuire à l’attention et affecter la performance.

Les émotions ont une influence considérable sur la mémoire. Les neurosciences nous ont révélé que pour « encoder » un apprentissage, le cerveau a besoin de rétroactions sur ses prédictions — ce qui correspond au troisième pilier de l’apprentissage —, plus précisément d’un signal d’erreur qui doit entraîner chez l’apprenant un sentiment de surprise. Ajoutons que c’est principalement sur la consolidation à long terme que les émotions agissent. Tout enseignant a donc intérêt à revoir son approche à l’aune des dernières connaissances sur le sujet, que la pandémie de COVID-19 et le virage accéléré vers l’enseignement en ligne ont par ailleurs mis en évidence.

Humaniser l’enseignement

« Ce lien qui se tisse entre l’enseignant et l’apprenant est d’ailleurs selon le psychologue et professeur Mario Poirier l’un des apports les plus importants de l’empathie en pédagogie, et ce bienfait prend une valeur encore plus considérable en formation en ligne. » —La formation en ligne en mode empathique

Parmi les approches dont la dimension émotionnelle de l’apprentissage tient une place centrale, on pense notamment à la pédagogie de l’empathie, dont l’un des principaux apports est d’enrichir le lien entre l’enseignant et l’apprenant, un bénéfice qui prend une valeur encore plus considérable en formation en ligne. L’empathie est constituée de deux dimensions, l’une émotionnelle et l’autre cognitive. La première fait référence à cette capacité à ressentir l’état émotionnel de l’autre, alors que la seconde renvoie à une compréhension des pensées et des aspirations de l’autre.

La pédagogie de l’empathie a montré des bienfaits sur le sentiment de confiance, le plaisir d’étudier, la motivation et l’engagement dans l’apprentissage, l’éclosion et le renforcement d’un lien entre l’enseignant et ses apprenants, la création d’un environnement d’apprentissage positif, le développement d’un sentiment d’appartenance au groupe, la valorisation de l’apprentissage ainsi que la réussite pédagogique (voir La formation en ligne en mode empathique).

Recourir à l’empathie comme outil pédagogique exige non seulement d’être à l’écoute et disposé à se mettre dans la peau de l’apprenant, mais aussi de s’engager dans une démarche de réflexion et de la transposer dans des actions. Parmi les initiatives concrètes que le psychologue et professeur Mario Poirier met de l’avant dans son article Réduire la distance par la pédagogie de l’empathie (2013) pour intégrer l’empathie dans son enseignement on retrouve :

  • Effectuer de nombreuses vérifications du cheminement de chaque étudiant durant le cours.
  • Privilégier les échanges fréquents, en continu, centrés sur une seule difficulté à la fois.
  • Donner des rétroactions rapides et claires sur les examens et travaux notés. La rétroaction doit être détaillée et personnalisée. Elle doit avoir comme objectif d’expliquer les erreurs à l’étudiant, MAIS aussi de le motiver à travailler plus fort, à s’améliorer et à réussir son cours.

Penser sérieusement à intégrer le jeu

« Des études récentes ont conclu que l’enseignement magistral, qui se pratique depuis plus de 500 ans, n’est pas l’approche pédagogique la plus efficace qui soit. Pour la professeure et fondatrice de Professors at play, Lisa K. Forbes, il est contraire à la sagesse de faire perdurer des pratiques centenaires sous prétexte que c’est ainsi que l’on fait depuis toujours, alors que les choses ont changé et que l’on enseigne même aux étudiants à s’adapter aux changements. » —S’amuser en enseignement supérieur, une voie d’avenir?

Comme le confirme Stanislas Dehaene dans une entrevue sur l’efficacité inégalée du cerveau humain du Sciences et Avenir (septembre 2021), « l’ennui et la distraction sont les pires ennemis de l’attention et de l’engagement actif ». Or, une approche qui suscite de plus en plus l’intérêt et qui peut être intégrée de multiples façons et à différents degrés dans l’enseignement, y compris dans l’enseignement aux adultes, est la pédagogie du jeu.

Si l’on s’intéresse depuis longtemps aux impacts du jeu dans l’apprentissage des enfants, il en va autrement pour l’apprentissage des adultes. Toutefois, une récente étude américaine menée par Lisa K. Forbes (2021) sur la pertinence du jeu comme stratégie d’apprentissage en enseignement supérieur a permis de constater qu’il est sous-utilisé et dévalorisé à ce niveau d’enseignement (voir Apprenants adultes et jeu : 5 constats de recherche), alors qu’il procure de nombreux bienfaits tels que de cultiver la sécurité relationnelle et un environnement de classe chaleureux, d’éliminer les obstacles à l’apprentissage, d’éveiller l’affect positif et la motivation des étudiants ainsi que de déclencher une attitude ouverte et engagée pour améliorer l’apprentissage (S’amuser en enseignement supérieur, une voie d’avenir?). Mme Forbes a développé à partir de sa recherche un modèle théorique du processus d’apprentissage ludique qui explique comment celui-ci rend l’apprentissage plus efficace. Dans l’enseignement supérieur, l’intégration du jeu peut comprendre de petites comme de plus grandes initiatives et ainsi servir à enseigner spécifiquement une notion ou même le contenu entier d’un cours, ou encore être sans lien avec ce contenu et avoir comme objectif de détendre l’atmosphère et de favoriser les connexions interpersonnelles.

Le jeu transcende les outils et la technique et s’incarne d’abord et avant tout dans l’attitude et l’approche de l’enseignant. Comme la pédagogie de l’empathie, celle du jeu a notamment pour effet de réduire la distance hiérarchique entre l’enseignant et les étudiants, ce qui favorise le renforcement de leur relation. Dans une telle classe, les barrières à l’apprentissage tombent plus facilement et la sécurité relationnelle peut s’installer, ce qui éveille la motivation intrinsèque de l’apprenant et augmente son engagement vulnérable. Un apprenant ayant une relation forte avec l’enseignant se sent plus en sécurité de montrer sa vulnérabilité et donc plus disposé à recevoir de la rétroaction (feedback) de sa part, en plus d’être moins gêné de s’accorder le droit à l’erreur, deux conditions indispensables pour apprendre — le retour sur erreur étant le troisième pilier de l’apprentissage. Précisons que Mme Forbes et son collègue David Thomas ont créé durant la pandémie de COVID-19 Professors at play, un espace de discussion, de partage d’expériences et d’idéation pour encourager l’utilisation du jeu et de l’amusement dans l’enseignement supérieur. Ils comptent publier sous peu un ouvrage à partir des meilleures idées soumises par leur communauté de partout à travers le monde.

Favoriser le sentiment d’efficacité personnelle des apprenants

« « Un petit succès qui persuade l’individu qu’il possède tout ce qu’il faut pour réussir lui permet de s’élever ensuite bien au-dessus de cette performance », écrit en substance Bandura dans son ouvrage phare sur le sujet : Auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle (2003). » —Au cœur du sentiment d’efficacité personnelle

L’enseignant peut avoir une influence majeure sur le sentiment d’efficacité de ses apprenants (voir L’apprenant et le sentiment d’efficacité personnelle). Précisons que le fait de vivre un succès — encore mieux : plusieurs! — dans une activité donnée est le meilleur moyen de développer une auto-efficacité élevée dans cette activité. La notion d’aptitudes qui s’acquièrent et non celle d’aptitudes innées est celle qui favorise l’éclosion du sentiment d’efficacité personnelle. Si le passé scolaire de l’apprenant a une incidence sur son auto-efficacité actuelle, de nouvelles expériences peuvent toutefois modifier sa perception. Pour aider les apprenants en ce sens, les enseignants doivent les amener à focaliser sur les moyens d’acquérir les compétences recherchées. Ce facteur devrait aussi être considéré en priorité lors des rétroactions données sur les performances, que celles-ci soient bonnes ou non, plutôt que de les attribuer uniquement aux efforts ou aux aptitudes de l’apprenant.

Pour favoriser l’auto-efficacité, les défis proposés doivent être stimulants, mais d’un niveau de difficulté modéré ou « réaliste ». Ce sont plutôt les sous-objectifs atteignables ou les sous-compétences plus facilement maîtrisables à brève échéance et qui mettent l’accent sur le processus de compréhension et l’apprentissage qui permettront d’augmenter graduellement l’auto-efficacité. Pour donner une certaine autonomie aux apprenants et cultiver leur motivation et leur engagement, l’enseignant devrait les impliquer dans la mise en place de ces objectifs.

Les activités évaluatives ne devraient pas toujours avoir la même forme ni être présentées aux apprenants comme des tests d’aptitudes; elles devraient plutôt être axées sur la progression, donc critériées et non normatives. L’enseignant ne devrait pas porter de jugement qualitatif sur l’évaluation qu’il s’apprête à faire passer — comme de laisser entendre qu’elle sera facile ou non — au risque de contrecarrer l’émergence du sentiment d’efficacité chez les apprenants. L’intervention post-évaluation de l’enseignant est toutefois primordiale pour guider les apprenants par ses commentaires rétroactifs précis et personnalisés sur les forces et les faiblesses de leurs performances ainsi que sur les moyens concrets à mettre en pratique pour mieux réussir. Ce ne serait pas tant la raison identifiée par l’enseignant comme étant à l’origine des performances des apprenants qui aurait un impact sur leur auto-efficacité que la vision de l’aptitude et de l’effort transmise par ce dernier. Si l’enseignant communique une vision de l’aptitude comme résultant d’efforts soutenus, la motivation et la performance des apprenants devraient s’en trouver stimulées.

Attention, la propre auto-efficacité de l’enseignant peut influencer considérablement le sentiment d’efficacité de ses apprenants. Il a été observé que les enseignants qui ont un sentiment d’efficacité « pédagogique » élevé ont, entre autres, plus tendance à croire qu’avec le travail et les outils appropriés un apprenant qui connaît des difficultés peut s’améliorer.

*Pour prendre connaissance des sources, consultez les articles en lien dans l’article.
Catherine Meilleur

Auteure:
Catherine Meilleur

Rédactrice de contenu créatif @KnowledgeOne. Poseuse de questions. Entêtée hyperflexible. Yogi contemplative

Catherine Meilleur possède plus de 15 ans d’expérience en recherche et en rédaction. Ayant travaillé comme journaliste, vulgarisatrice scientifique et conceptrice pédagogique, elle s’intéresse à tout ce qui touche l’apprentissage : de la psychopédagogie aux neurosciences, en passant par les dernières innovations qui peuvent servir les apprenants, telles que la réalité virtuelle et augmentée. Elle se passionne aussi pour les questions liées à l’avenir de l’éducation à l’heure où se pointe une véritable révolution, propulsée par le numérique et l’intelligence artificielle.