« Pourquoi les enfants seraient-ils les seuls à pouvoir s’amuser!? », demandent les créateurs du projet Professors at play, Lisa Forbes et David Thomas, tous deux enseignants à l’Université du Colorado à Denver aux États-Unis. Ces deux universitaires au parcours atypique ont constaté que le jeu et l’amusement, malgré leur potentiel pour l’apprentissage, sont souvent sous-utilisés dans l’enseignement supérieur. Ils ont donc décidé en 2020, en pleine pandémie de COVID-19, alors que la transition vers l’enseignement en ligne faisait ressortir quelques-unes des limitations de l’enseignement traditionnel, de créer un espace de discussion, de partage d’expériences et d’idéation pour y encourager l’utilisation du jeu et de l’amusement dans l’enseignement supérieur. C’est ainsi qu’est né Professors at play, dont la communauté qui compte déjà des centaines de membres d’un peu partout à travers le monde, et qui tiendra sous peu son second symposium en plus de publier dans un premier ouvrage, le PlayBook.

Dans un entretien réalisé par le réseau d’enseignement et d’apprentissage en ligne TALON, Lisa Forbes et David Thomas discutent de pédagogie du jeu dans l’enseignement supérieur et en apprentissage en ligne. Voici l’essentiel de leurs propos!

« On ne cesse pas de jouer parce qu’on devient vieux, mais on devient vieux parce qu’on cesse de jouer. »

Georges Bernard Shaw

Faisons les présentations

Lisa Forbes, l’enseignante anticonformiste

Lisa K. Forbes, PhD, est professeure adjointe de clinique dans le programme de counselling de l’Université du Colorado à Denver. Elle est aussi professionnelle agréée en counselling et étudie pour pratiquer la thérapie par le jeu. Anticonformiste dans l’âme, elle a constaté au début de sa carrière que le milieu de l’enseignement supérieur était souvent marqué par un excès de sérieux, de stress et de formalité. Elle a vite abandonné l’idée de rentrer dans le moule du professeur type, un rôle qui détonnait avec sa personnalité et qui lui drainait son énergie et sa passion pour son travail.

En 2018, elle fait la rencontre de David Thomas dont l’intérêt comme chercheur et professeur porte depuis plusieurs années sur l’amusement, les objets amusants — notamment architecturaux — ainsi que la signification du jeu. Cette rencontre lui donne l’impulsion d’aborder l’enseignement à sa façon, en faisant graduellement place à l’amusement dans ses cours, non seulement à travers des activités, mais aussi une manière d’être. Son objectif est de voir se développer dans sa classe un sens de la communauté, en espérant que les étudiants se sentent plus connectés les uns aux autres. Elle croit alors que si ces derniers se sentent plus à l’aise dans le groupe, ils seront plus enclins à se montrer plus vulnérables et donc plus ouverts à prendre des risques et à faire des erreurs… des conditions qui, selon elle, favoriseraient l’apprentissage. Rappelons que les neurosciences ont démontré que nos erreurs et notre prise de conscience de celles-ci sont essentielles pour l’apprentissage (voir Neurosciences : apprendre en 4 temps). L’hypothèse de Mme Forbes est validée par son étude* et à partir de laquelle elle développe un modèle théorique** sur la façon dont l’amusement et le jeu favorisent l’apprentissage. Cette étude lui permet également de faire les cinq constats suivants :

Le jeu…

  1. est sous-utilisé et dévalorisé dans l’enseignement supérieur.
  2. cultive la sécurité relationnelle et un environnement de classe chaleureux.
  3. élimine les obstacles à l’apprentissage.
  4. éveille l’affect positif et la motivation des étudiants.
  5. déclenche une attitude d’apprentissage ouverte et engagée pour améliorer l’apprentissage.

*Étude : Forbes Lisa K. The Process of Play in Learning in Higher Education: A Phenomenological Study. Journal of Teaching and LearningVol. 15, No. 1(2021),p.57-73.

**Son modèle théorique, The Playful Learning Process Model, se trouve à la page 71 de son étude.

David Thomas, le « professeur de l’amusement »

David Thomas, PhD, est directeur général des programmes en ligne de l’Université de Denver et professeur adjoint au département d’architecture de l’Université du Colorado à Denver. Avant le début de sa carrière universitaire, il a écrit durant près de 20 ans sur les jeux vidéo pour diverses publications, une expérience qui l’a entre autres amené à vouloir comprendre ce qui fait qu’un jeu est mieux qu’un autre. En tant que chercheur et professeur, il s’est intéressé à l’amusement, aux objets amusants — notamment architecturaux — ainsi qu’à la signification du jeu. Celui qui se surnommait Professor of Fun (le professeur de l’amusement) a aussi donné des centaines de conférences sur le sujet et coécrit un livre sur l’esthétique de jeu intitulé Fun, Taste and Games (Amusement, Goût et Jeux).

Ayant abordé durant toutes ces années de manière intellectuelle la question du jeu, c’est sa rencontre avec Lisa Forbes qui l’a réellement mis au défi de faire passer ses connaissances de la théorie à la pratique. En créant Professors at play, Forbes et Thomas se sont donné pour mission de trouver comment faire en sorte que l’apprentissage soit plus efficace en le rendant plus amusant.

Les différentes formes du jeu en enseignement supérieur

Le jeu est un phénomène multicouche, selon Lisa Forbes. Lorsqu’intégré à l’enseignement supérieur, il peut comprendre de petites comme de plus grandes initiatives et ainsi servir à enseigner spécifiquement une notion ou même le contenu entier d’un cours, ou encore être sans lien avec ce contenu et avoir comme objectif de détendre l’atmosphère et de favoriser les connexions interpersonnelles.

Dans un cas comme dans l’autre, le jeu peut avoir un impact significatif sur le processus d’apprentissage, comme l’a constaté Mme Forbes dans son étude (2021), alors que les participants ont affirmé que les moments de légèreté procurés par les activités sans liens avec le contenu du cours permettaient de réduire leur stress, en plus de les aider à être plus centrés et à mieux aborder les notions ardues. La professeure de l’Université du Colorado commence presque toutes ses classes par une telle activité — souvent appelée « brise-glaces », mais qu’elle préfère qualifier de « formatrice de connexions », puisque c’est ce que font ces activités. Dans le registre des grandes initiatives, Mme Forbes donne l’exemple d’un professeur de droit qui, lors du symposium de Professors at play, a partagé la façon dont il enseigne son cours entier sous forme de jeu : les étudiants doivent lire Jurassic Park, puis proposer des lois et des stratégies pour protéger les parcs d’animaux de ce type.

Si l’enseignant a développé une relation forte avec ses étudiants, les techniques et les outils qu’il utilise devraient être beaucoup plus efficaces.

D’abord l’attitude et l’approche amusante

Le jeu transcende les outils et la technique et s’incarne d’abord et avant tout dans l’attitude et l’approche de l’enseignant. L’un de ses effets est de réduire la distance hiérarchique entre l’enseignant et les étudiants. D’après David Thomas, les enseignants qui ont une capacité d’amusement naturelle — ce qu’il considère comme une forme de jeu en soi — suscitent davantage l’engagement des étudiants et sont ceux avec qui ces derniers connectent le plus.

Dressant un parallèle avec le domaine de la relation d’aide, Lisa Forbes rappelle que les études convergent pour dire que le facteur déterminant de l’efficacité d’une thérapie, peu importe la technique employée, est la force de la relation. Il est très probable selon elle qu’il en soit de même dans la relation enseignante. Autrement dit, si l’enseignant a développé une relation forte avec ses étudiants, les techniques et les outils qu’il utilise devraient être beaucoup plus efficaces. Ajoutons que les étudiants sont aussi plus disposés à recevoir de la rétroaction (du feedback) de la part d’un enseignant avec qui ils ont une relation forte, ce qui représente un atout non négligeable pour améliorer l’apprentissage.

Et attention de ne pas dissocier la technique de l’attitude, prévient M. Thomas, au risque que l’amusement soit perçu comme étant « forcé »; par exemple, proposer un jeu aux étudiants, mais leur enseigner le reste du cours d’une façon stressante. Sans une attitude conséquente de l’enseignant, un jeu ne pourra à lui seul entretenir l’esprit d’amusement dans une classe.

Plus qu’une « goutte de plaisir » : une caractéristique humaine fondamentale

Lisa Forbes a conçu deux modèles pour expliquer comment le jeu permet d’améliorer l’apprentissage : un premier modèle théorique précédant sa recherche et un modèle plus complexe découlant de ses constats de recherche qui permet de comprendre comment tous ces facteurs se connectent entre eux. Ce que David Thomas aime particulièrement dans ces deux modèles, c’est qu’ils nous éloignent de l’idée que le jeu ne serait qu’une petite goutte de plaisir que l’on peut ajouter à un processus autrement pénible. Ces modèles mettent plutôt en évidence que le jeu est une pratique qui fait du bien, que c’est la façon dont les êtres humains connectent ensemble, se lient, et qu’à travers ces liens de communautés ils sont plus enclins à prendre des risques, à explorer, à réfléchir et à s’engager. Le jeu est une caractéristique humaine, une motivation intrinsèque et M. Thomas souligne que le travail de sa collègue a mis à nu ce genre de langage psychologique.

Des études récentes ont conclu que l’enseignement magistral, qui se pratique depuis plus de 500 ans, n’est pas l’approche pédagogique la plus efficace qui soit. Pour Mme Forbes, il est contraire à la sagesse de faire perdurer des pratiques centenaires sous prétexte que c’est ainsi que l’on fait depuis toujours…

Vaincre la résistance et les préjugés face au jeu

Être pris davantage au sérieux : voilà assurément le plus grand défi que doivent surmonter dans l’enseignement supérieur ceux qui croient au potentiel du jeu et qui ont envie de faire les choses autrement. C’est que les hauts lieux du savoir sont ancrés dans une tradition peu encline au changement où la hiérarchie, le sérieux et le conformisme ont toujours beaucoup de poids. Avant de créer Professors at play et de réaliser qu’il y a un peu partout des enseignants qui, comme elle, souhaitent qu’une pédagogie du jeu ait sa place à l’université, Lisa Forbes s’est sentie peu appuyée dans sa démarche. Si les universités ont de la difficulté à s’adapter à des styles plus amusants et engageants, c’est selon elle parce qu’elles sont ancrées depuis des générations dans une façon de faire — l’enseignement magistral — et qu’il est simplement plus facile de maintenir le statu quo que d’en sortir.

Des études récentes ont pourtant conclu que l’enseignement magistral, qui se pratique depuis plus de 500 ans, n’est pas l’approche pédagogique la plus efficace qui soit. Pour Mme Forbes, il est contraire à la sagesse de faire perdurer des pratiques centenaires sous prétexte que c’est ainsi que l’on fait depuis toujours, alors que les choses ont changé et que l’on enseigne même aux étudiants à s’adapter aux changements. La créativité n’étant selon son expérience pas valorisée dans le monde académique, il faut beaucoup d’énergie pour y repenser l’enseignement, et du courage pour aller au-delà du scepticisme et des critiques, le jeu étant souvent perçu comme une perte de temps ou comme étant incompatible avec la nature sérieuse des sujets au programme. Il arrive aussi que la perspective de jouer dans un cours universitaire déstabilise certains étudiants, ce qui selon Mme Forbes pourrait être dû au fait que les étudiants sont eux aussi conditionnés depuis longtemps à une certaine façon de faire (écouter le professeur, se faire présenter les notions et prendre des notes d’une telle façon, etc.) ou encore parce que certains ne sont intéressés qu’à prendre leurs notes, faire leurs examens, puis partir… mais en général, d’après ses observations, cette réticence tombe lorsqu’ils goûtent à un cours où le jeu et l’amusement ont leur place.

David Thomas avoue pour sa part que ce n’est que récemment, en prenant connaissance du travail de sa collègue et de celui des membres de Professors at play, en voyant leurs étudiants s’animer à travers le jeu, qu’il a réalisé à quel point celui-ci compte — ce sujet sur lequel il a pourtant beaucoup réfléchi durant sa carrière —, qu’il peut avoir un impact significatif sur l’enseignement et l’apprentissage. En lisant les commentaires positifs de ses propres étudiants après ses premiers essais de pédagogie plus ludique, M. Thomas en est aussi arrivé au constat que par le passé il n’avait pas été assez « brave » pour se lancer dans cette voie. En ce sens, il est bien placé pour affirmer que ces inhibitions qui empêchent plusieurs d’entre nous de se prendre parfois moins sérieux sont encore plus présentes chez les professeurs d’université. À la timidité, la peur du ridicule ou la crainte de ne pas être bon s’ajoute l’idée qu’ils doivent projeter l’image de « maîtres de leur domaine », une posture qui laisse peu de latitude pour respirer selon M. Thomas.

En mode visioconférence, on ne peut plus cultiver aussi facilement qu’en présentiel l’impression d’être un « bon enseignant », en se basant sur le fait que plus de la moitié de la classe nous regarde. Alors qu’une partie des étudiants ferment leur caméra durant le cours, l’enseignant est confronté à voir l’« absence » qui a toujours existé en présentiel.

Pandémie de COVID-19 : accélératrice de changements

Professors at play est né durant la pandémie de COVID-19, alors que partout sur la planète les enseignants ont dû faire un virage vers l’enseignement en ligne. Pour nombre d’entre eux, ce virage a consisté à transférer en mode vidéoconférence le cours magistral qu’ils donnaient en présentiel, une formule qui ne pouvait que finir par gruger la motivation et l’engagement des troupes. Bien entendu, il n’est pas ici question de ceux qui disposaient déjà d’une formation en ligne conçue dans les règles de l’art avant la pandémie. Selon les fondateurs de Professors at play, qui ont vu leurs rangs bondir, cette situation a vraisemblablement augmenté l’intérêt pour des approches et des outils pédagogiques plus amusants, y compris dans l’enseignement supérieur.

Dans la foulée de ce virage, plusieurs facteurs ont pu inciter les enseignants à tenter de nouvelles approches. David Thomas évoque le fait qu’en mode visioconférence, on ne peut plus cultiver aussi facilement qu’en présentiel l’impression d’être un « bon enseignant », en se basant sur le fait que plus de la moitié de la classe nous regarde. Alors qu’une partie des étudiants ferment leur caméra durant le cours, l’enseignant est confronté à voir l’« absence » qui a toujours existé en présentiel. Un autre facteur qui a pu encourager les enseignants à sortir des sentiers battus est ce sentiment de n’avoir rien à perdre à tester quelques idées ludiques, alors qu’ils étaient « pris » dans cette petite boîte Zoom. Enfin, pour adapter leurs contenus au mode en ligne synchrone et asynchrone, plusieurs enseignants devaient remanier pratiquement tout leur cours, ce qui représentait une occasion de faire les choses autrement.

L’enseignement supérieur à la croisée des chemins?

Où l’enseignement supérieur s’en va-t-il? Comme la plupart des observateurs, les fondateurs de Professors at play s’entendent pour dire qu’il sera plus « numérique ». Pour David Thomas, l’ère de la classe fermée et du professeur campé dans le rôle de l’expert face à ses étudiants tire à sa fin. Alors que ces derniers ont, dans un certain sens, été responsabilisés durant le virage numérique accéléré par la pandémie, ils ont selon lui plutôt besoin d’un professeur qui les aide à jouer avec les concepts et qui leur apprend ses démarches de réflexion. Lisa Forbes, qui se dit pour sa part sceptique, croit que le monde de l’enseignement supérieur sera dans dix ans sensiblement le même qu’aujourd’hui en ce qui concerne la hiérarchie, le statu quo et ce que signifie qu’être un membre d’un département universitaire. Si son collègue doute aussi que l’enseignement supérieur soit prêt à s’adapter aux grands changements à la fois technologiques et sociologiques qui sont dans l’air du temps, il a malgré tout espoir que les changements nécessaires surviendront et, qui sait, peut-être d’une manière inattendue.

Plus précisément, M. Thomas croit que certaines parties de l’université mourront à force de se battre pour l’ancienne façon de faire, mais que depuis la pandémie l’enseignement supérieur est déjà différent bien qu’on ne le réalise pas encore. Il cite en exemple ce qu’a vécu la réputée école de musique de leur université. De toutes les matières, s’il y en a une que l’on ne peut enseigner en ligne, c’est la musique… Eh bien, ils ont trouvé le moyen pour que leurs chanteurs d’opéra puissent s’exercer en ligne avec les chanteurs d’opéra du MET de New York, ces derniers étant libres en raison du confinement. Comme le souligne M. Thomas, ces enseignants de musique ont sans doute hâte de retourner en studio travailler avec des gens en personne, mais ils ont aussi probablement très envie de renouveler ce genre d’expérience en ligne. Il se réjouit de telles initiatives, qui étaient impensables avant la pandémie. Pour lui, nous sommes entrés dans « le futur » et il maintient que le jeu en est une composante importante.

Le Web offre aujourd’hui nombre d’outils qui peuvent être utilisés au profit d’une pédagogie ludique, mais le plus important ce n’est pas tant l’éventail ou la sophistication des outils disponibles que l’idée de s’en servir de façon créative pour permettre des interactions significatives.

Pédagogie ludique en ligne : défis et atouts

David Thomas et Lisa Forbes sont loin de se prétendre au-dessus des bouleversements engendrés par le virage numérique. Ils sont conscients que cette nouvelle forme d’enseignement est en cours d’« invention » et qu’ils font simplement partie de ceux qui s’engagent à défricher le terrain. Néanmoins, les deux universitaires croient fermement qu’une pédagogie plus ludique est à privilégier dans l’enseignement supérieur, de surcroît lorsque cet enseignement se déroule en ligne, alors que l’écran d’ordinateur rend les connexions interpersonnelles plus difficiles. Même si Lisa Forbes n’est pas certaine qu’en mode en ligne ces connexions interpersonnelles soient stimulées aussi fortement par le jeu qu’en présentiel, tel qu’observé dans sa recherche, celui-ci demeure un moyen à privilégier à la fois pour réduire la barrière que pose l’écran d’ordinateur dans les échanges ainsi que pour améliorer les expériences d’apprentissage comme d’enseignement.

L’enseignement en ligne comporte certes des défis, mais il présente aussi des atouts pour une pédagogie plus amusante. Alors que le présentiel la confinait aux murs de sa classe et au périmètre de l’université, Mme Forbes note que l’enseignement en ligne lui donne accès à l’environnement physique de chacun de ses étudiants, ces derniers pouvant se lever, bouger et aller chercher des objets pour les besoins du cours. Ajoutons à cela qu’en présentiel, elle ne pouvait tenir pour acquis que ses étudiants auraient tous leur portable en classe, ce qui l’empêchait de planifier des activités sur le Web, alors qu’elle le peut en mode en ligne. Le Web offre aujourd’hui nombre d’outils qui peuvent être utilisés au profit d’une pédagogie ludique, mais le plus important ce n’est pas tant l’éventail ou la sophistication des outils disponibles que l’idée de s’en servir de façon créative pour permettre des interactions significatives.

À titre d’exemple, la professeure de l’Université du Colorado utilise principalement la plateforme Zoom pour la qualité des interactions qu’elle offre, en publiant notamment des liens dans la boîte de clavardage qui amènent les participants vers différents cyberespaces, ce qui évite aux étudiants de faire trop longtemps la même chose. Cette plateforme lui permet aussi d’utiliser les applications Google Docs, Flipgrid et Google Forms; dans cette dernière, elle crée notamment des jeux d’évasion dans lesquels ses étudiants doivent relever des défis en petits groupes. Précisons que Mme Forbes n’avait aucune idée de ces possibilités avant la pandémie… Et ce ne sont là que quelques exemples, l’important étant selon elle d’essayer des choses et de voir ce qui fonctionne.

De son côté, David Thomas aime particulièrement cette fonctionnalité de Zoom qui permet de créer des salles de discussion, où il envoie ses étudiants par groupes en leur donnant un objectif qui sort de l’ordinaire comme de trouver quelque chose qu’ils s’accordent à ne pas aimer — l’un de ses groupes lui était revenu en lui disant « Aucun d’entre nous n’aime les tomates! ». À la différence d’une discussion sur un thème convenu — par exemple, des lieux de vacances favoris —, ce jeu déclenche, selon l’expérience de M. Thomas, des conversations inusitées qui humanisent les gens. Enfin, différents jeux bien connus peuvent s’intégrer en mode en ligne, qu’il s’agisse d’activités brise-glaces, de jeux-questionnaires ou encore de jeux de rôles.

L’important, selon Lisa Forbes, est de faire de petits pas et de respecter son degré de confort avec le jeu, parce qu’il est vrai que cela peut devenir intimidant et oppressant si on se met la barre trop haute.

Adopter le jeu à sa façon

Avant d’intégrer le jeu dans son enseignement, Lisa Forbes recommande de prendre le temps de réfléchir « aux narratifs » de l’enseignement supérieur, soit de déconstruire ses narratifs dominants qui perdurent depuis des générations, de voir ce que représente pour soi d’être membre d’un département universitaire, d’identifier le statu quo que l’on entretient, comment celui-ci fonctionne et ce que l’on peut y changer. C’est en se prêtant à cet exercice que Mme Forbes a réalisé que l’enseignement traditionnel ne lui convenait pas, qu’elle avait besoin de créer son propre narratif et d’adopter une approche plus alignée sur l’être humain qu’elle est, soit une approche plus libre, plus amusante et dans laquelle elle se prend moins au sérieux.

Une fois que l’on a fait cette analyse et choisi dans quelle direction on veut aller, Mme Forbes conseille de définir ce que le jeu en classe signifie pour soi. Ensuite, l’important selon elle est de faire de petits pas et de respecter son degré de confort avec le jeu, parce qu’il est vrai que cela peut devenir intimidant et oppressant si on se met la barre trop haute. Ce n’est pas parce qu’il est question de jeu qu’instaurer cette mécanique dans une classe est nécessairement facile ou naturel. Elle-même avoue avoir été très nerveuse lors de ses premières tentatives et confirme que chaque fois il lui faut toujours une certaine dose de courage. Pour elle le jeu en enseignement est un continuum qui va « de ne pas en faire du tout jusqu’à aller trop loin »… On peut commencer par une activité brise-glaces, puis de voir ce que cela provoque avant de tenter une autre initiative.

David Thomas recommande d’aller chercher un collègue, de sa discipline ou non, qui pourra nous soutenir dans cette voie. Il conseille aussi d’oser, de surpasser sa timidité, de sortir de sa zone de confort. À ce propos, il souligne que cela peut être devenu doublement difficile de sortir de cette zone de confort, puisque dans un certain sens les enseignants ont déjà pris des habitudes depuis qu’ils sont passés au mode en ligne. Pour sortir de sa complaisance, il donne ce petit exercice : chaque jour, avant d’aller en classe, que ce soit en visioconférence ou en présentiel, choisissez un mot au hasard dans le dictionnaire et trouvez le moyen de l’intégrer à votre cours. Faites-le pour vous! Si vous vous sentez un peu plus brave, vous pouvez partager à vos étudiants le défi que vous vous êtes lancé et leur demander de trouver le mot!

Puisque jouer demande une certaine dose de créativité, on peut se demander où trouver de l’inspiration. Si les fondateurs de Professors at play lisent des ouvrages et des articles qui peuvent les guider, « le » livre sur l’intégration du jeu dans l’enseignement n’existe pas encore et c’est pourquoi ils tentent de rassembler les petites et grandes idées de leurs membres dans un ouvrage à paraître sous peu. Pour Lisa Forbes sa plus grande source d’inspiration demeure cette communauté de Professors at play qui lui a permis de réaliser qu’elle et David Thomas ne sont pas seuls, qu’il existe des poches d’enseignants un peu partout qui intègrent depuis longtemps le jeu à leur pratique et dont chacune des rencontres nourrit sa conviction en sa démarche.

Maintenant, à vous de jouer professeurs!

Catherine Meilleur

Auteure:
Catherine Meilleur

Rédactrice de contenu créatif @KnowledgeOne. Poseuse de questions. Entêtée hyperflexible. Yogi contemplative

Catherine Meilleur possède plus de 15 ans d’expérience en recherche et en rédaction. Ayant travaillé comme journaliste, vulgarisatrice scientifique et conceptrice pédagogique, elle s’intéresse à tout ce qui touche l’apprentissage : de la psychopédagogie aux neurosciences, en passant par les dernières innovations qui peuvent servir les apprenants, telles que la réalité virtuelle et augmentée. Elle se passionne aussi pour les questions liées à l’avenir de l’éducation à l’heure où se pointe une véritable révolution, propulsée par le numérique et l’intelligence artificielle.