Dans la foulée de la crise sanitaire actuelle, une majorité d’établissements d’enseignement ont dû se tourner vers le mode en ligne pour continuer de donner leurs cours. Dans l’urgence, plusieurs ont évidemment été contraints d’opter pour des solutions hypersimplifiées, qui ne sont pas représentatives des possibilités qu’offre désormais la formation en ligne. Cette modalité technologique et pédagogique a en effet évolué de telle sorte qu’elle n’est plus qu’un support de transmission de contenus, mais un environnement unique pouvant optimiser l’apprentissage.
Parmi ses avancées, on compte l’intégration d’approches qui ont pour but de lui donner une dimension plus humaine et de « réduire la distance » entre les acteurs qui y prennent part. L’une de ses approches est la pédagogie de l’empathie, qui peut être mise en place même dans des solutions de formation en ligne simplifiées. Voici en quoi consiste cette approche!
L’empathie en deux dimensions
Pour la plupart d’entre nous, l’empathie évoque cette capacité à se mettre à la place d’autrui, à essayer de comprendre ce que l’autre vit. Il arrive que l’on confonde cette composante importante des relations interpersonnelles avec la sympathie, la compassion ou l’altruisme, des notions avec qui elle peut cependant être liée. Sous la loupe de la psychologie ou de la philosophie, notamment, cette notion simple en apparence peut devenir éminemment complexe. Nous nous contenterons ici d’une définition qui soit porteuse de sens et applicable en contexte pédagogique.
L’empathie est constituée de deux dimensions, l’une émotionnelle et l’autre cognitive. La première fait référence à cette capacité à ressentir l’état émotionnel de l’autre. « C’est une sensibilité naturelle à ce que ressent l’autre, à son vécu sur le plan affectif », explique le psychologue et professeur Mario Poirier dans son article Réduire la distance par la pédagogie de l’empathie (2013), en précisant que l’on peut aussi qualifier de « sympathie » cette dimension affective de l’empathie. Quant à la seconde dimension de l’empathie, elle renvoie à une compréhension des pensées et des aspirations de l’autre. « Par une certaine analyse cognitive de nos perceptions nous permettant de prédire les comportements de l’autre, nous pouvons décoder beaucoup d’informations, non seulement ce qu’il nous dit, mais aussi en fonction de notre propre compréhension du contexte qui nous est communiqué », explique Poirier. Une analyse qui, ajoute-t-il, nous aide à mieux saisir ce que l’on ressent et à gérer nos réactions sympathiques. Le terme « empathie mature » est parfois utilisé pour désigner la combinaison des deux aspects de la notion qui fait que l’on peut à la fois ressentir et comprendre l’émotion de l’autre.
Une pédagogie de l’empathie a montré des bienfaits sur le sentiment de confiance, le plaisir d’étudier, la motivation et l’engagement dans l’apprentissage, l’éclosion et le renforcement d’un lien entre l’enseignant et ses apprenants, la création d’un environnement d’apprentissage positif, le développement d’un sentiment d’appartenance au groupe, la valorisation de l’apprentissage ainsi que la réussite pédagogique.
Outil pédagogique
Il a été démontré que l’enseignement peut bénéficier d’un surcroît d’empathie dans la relation pédagogique (Poirier, 2013; Cooper, 2011; Gribble et Oliver, 1973; Washburn 2008). Plus précisément, une pédagogie de l’empathie a montré des bienfaits sur le sentiment de confiance, le plaisir d’étudier, la motivation et l’engagement dans l’apprentissage, l’éclosion et le renforcement d’un lien entre l’enseignant et ses apprenants, la création d’un environnement d’apprentissage positif, le développement d’un sentiment d’appartenance au groupe, la valorisation de l’apprentissage ainsi que la réussite pédagogique (Poirier, 2013; Fuller, 2012; Fuller, 2012; Holmberg, 1995, 1999, 2003).
Pour utiliser l’empathie comme outil pédagogique, l’enseignant doit impérativement s’intéresser à la dimension cognitive de cette notion, qui est en fait la dimension sur laquelle il peut intervenir. « Cette capacité cognitive de l’empathie est particulièrement importante pour le développement de compétences de savoir-agir en enseignement, car elle permet de mettre en place et de gérer une pratique concrète de l’empathie », explique Mireille Hamel, consultante en ingénierie pédagogique en enseignement à distance, dans son article intitulé La pédagogie de l’empathie et son impact sur les apprentissages en ligne paru dans l’ouvrage Formation et apprentissage en ligne (2019).
C’est cette composante de l’empathie qui permet d’en faire plus qu’une disposition affective et de la traduire en actions pour moduler son approche pédagogique, tel que le précise Hamel : « Étant donné cette composante cognitive de l’empathie, on peut ajuster nos actions et interventions en éducation en ligne selon les besoins spécifiques de chaque situation. » Recourir à l’empathie comme outil pédagogique exige donc non seulement d’être à l’écoute et disposé à se mettre dans la peau de l’apprenant, mais aussi de s’engager dans une démarche de réflexion qui sera suivie d’un passage à l’action.
L’enseignant en ligne : accompagnateur empathique
En apprentissage en ligne, lorsqu’un cours est prêt à être offert aux apprenants, le rôle de l’enseignant n’est souvent plus tant celui de transmetteur de contenu que celui d’accompagnateur et de personne-ressource. Cette réalité, couplée à la nécessité de tout mettre en œuvre pour « réduire la distance » inhérente à ce type de formation, fait qu’il devient essentiel d’y optimiser la dimension humaine et communicationnelle entre l’enseignant et ses apprenants. À ce titre, la pratique de l’empathie semble toute désignée.
Il faut savoir que cette approche ne doit pas être réservée aux situations particulières ou délicates — par exemple, un apprenant qui serait aux prises avec des difficultés personnelles ou même d’apprentissage —; mais imprégner la pratique enseignante dans son ensemble, entre autres à travers le lien que l’enseignant tisse avec ses apprenants dans son travail de pédagogue. Mario Poirier explique : « Un bon pédagogue est capable d’un lien individualisé réel avec l’autre, même quand ce qu’il veut communiquer est purement intellectuel. Un étudiant est généralement sensible à l’intérêt que lui porte un professeur et à l’ouverture qu’il perçoit dans la possibilité de communiquer avec lui. Chaque étudiant, et ce, dès l’école primaire, peut se souvenir des enseignants dont il a ressenti cette capacité de transmettre une matière difficile de manière personnalisée. » L’enseignant empathique, Poirier le décrit comme un enseignant qui, non seulement, « s’intéresse à ses étudiants, les considère comme des personnes distinctes et complexes », mais aussi qui les « mobilise et facilite leur attachement à ce qu’il enseigne (connected learning) ».
Ce lien qui se tisse entre l’enseignant et l’apprenant est d’ailleurs selon le psychologue et professeur Mario Poirier l’un des apports les plus importants de l’empathie en pédagogie, et ce bienfait prend une valeur encore plus considérable en formation en ligne.
Bien que le défi soit plus grand en enseignement à distance, parce que « le lien avec l’étudiant y est moins évident qu’en présentiel », comme l’admet Poirier, ce dernier affirme que « néanmoins, à distance ou non, il est possible d’adapter tout enseignement pour tenir compte de la pédagogie de l’empathie ». Ce lien qui se tisse entre l’enseignant et l’apprenant est d’ailleurs selon lui l’un des apports les plus importants de l’empathie en pédagogie. Et ce bienfait prend une valeur encore plus considérable en formation en ligne, alors que l’absence de lien ou la « défaillance » du lien à l’autre est susceptible de causer un sentiment de solitude qui s’avère l’une des principales causes d’abandon (Glikman, 2002, p.42; Dupont, 2010; Dussarps, 2015).
Pour le professeur Richard G. Fuller (2012), les possibilités d’interaction spontanée se trouvant démultipliées dans le contexte actuel de la formation en ligne, il devient d’autant plus nécessaire que les enseignants adoptent une approche empathique pour s’assurer que les attentes des apprenants soient claires et leurs apprentissages, significatifs. « Le principe fondamental d’un enseignement en ligne efficace est que les [enseignants/formateurs] en tirent une compréhension réaliste des besoins des apprenants et de leurs attentes vis-à-vis du programme en ligne, tout en adaptant l’enseignement au niveau de compétence et à la perspective des apprenants » , avance-t-il dans son article Building Empathy in Online Courses: Effective Practical Approaches.
L’impact de l’empathie irradie d’ailleurs au-delà du renforcement de la relation un-à-un enseignant-apprenant, puisqu’il a été démontré qu’elle favorise un environnement d’apprentissage positif, en plus jouer un rôle dans la réussite pédagogique et dans la valorisation de l’apprentissage (Fuller et Morris, 2012). Avec les possibilités d’interactions qu’elle offre à ses participants, la formation en ligne gagne aussi à utiliser l’empathie pour stimuler l’esprit de collaboration et développer une culture en ce sens. « L’outil de la pratique de l’empathie se retrouve ainsi comme un élément de base permettant la construction dynamique d’une culture collaborative. Cependant, les gestes de communication se doivent d’être intentionnels et instaurés par l’enseignant », explique Mireille Hamel dans son article, en précisant que « la pratique de l’empathie collaborative permet d’insuffler un sentiment de confiance, de motivation et d’appartenance au groupe ».
Par ailleurs, les bienfaits de l’empathie se font sentir non seulement chez ceux qui en sont les destinataires, mais aussi chez la personne qui l’initie. Le psychologue Arthur Ciaramicoli avance dans son livre The Stress Solution: How Using Empathy and Cognitive Behavioral Therapy reduces Anxiety and increases Resilience (2016) qu’une approche empathique permettrait non seulement de réduire son stress, mais aussi d’avoir une perception plus claire de la réalité et d’être moins enclin aux préjugés en préservant des états émotifs qui peuvent entraîner de la distorsion cognitive (voir Les 3 vitesses de la pensée, Biais cognitifs : quand notre cerveau nous joue des tours, Biais cognitifs en éducation : l’effet Pygmalion et 3 biais cognitifs à connaître en éducation).
Empathique, de l’écoute à l’action
Pour être efficace comme outil pédagogique, l’empathie doit se déployer à travers l’écoute et la réflexion, mais aussi dans l’action. Cette forme d’écoute qui permet de se mettre à la place d’autrui est pour Ciaramicoli (2016) nécessairement « lente et réflexive ». Fuller (2012) invite pour sa part à recourir à l’écoute active, aussi dite « réflective », qui favoriserait l’empathie en permettant de développer la confiance et le respect, d’encourager l’émergence de l’information, de créer un environnement propice à la résolution de problème et, lorsque nécessaire, de diminuer les tensions interpersonnelles et de permettre aux parties de libérer leurs émotions (Salem, 2003). Rappelons que l’écoute active est une technique qui consiste dans un premier temps à écouter et comprendre ce que l’autre dit, pense et ressent, pour ensuite reformuler dans nos propres mots ses sentiments, pensées ou opinions afin de s’assurer d’avoir bien compris son message. « L’apprenant qui se sent écouté pourra faire connaître ses difficultés, demander des clarifications et faire des suggestions d’amélioration », souligne Mireille Hamel.
Intimement liée à l’écoute, une démarche de réflexion est nécessaire à la pédagogie de l’empathie, et les conditions propres à la formation en ligne peuvent jouer en sa faveur. « L’apprentissage en ligne, en particulier dans un mode asynchrone, présente un environnement propice pour construire une approche réflexive, car il permet le temps et le recul nécessaires pour formuler une réponse empathique et adaptée à la situation », explique Hamel en rappelant que l’approche réflexive en formation est une démarche qui amène l’apprenant à devenir objet de sa propre réflexion pour pouvoir prendre des décisions sur les actions en cours et à venir (Callero 2003; Etherington, 2007).
Pour que l’empathie soit réellement efficace, elle doit s’incarner dans l’action, et plusieurs initiatives ont été identifiées pour guider l’enseignant en ce sens.
Enfin, pour que l’empathie soit réellement efficace, elle doit s’incarner dans l’action (Ciaramicoli, 2016), et plusieurs initiatives ont été identifiées pour guider l’enseignant en ce sens. Parlons d’abord de la présence en ligne, qui doit se manifester sur une base régulière, mais qui doit aussi être « de qualité » (voir Le sens de la communauté compte-t-il en formation en ligne). « La présence est le fait que l’enseignant soit visible et actif dans un cours qui joue un rôle dans la promotion de l’empathie. La pratique de l’empathie va cependant plus loin et représente la possibilité pour l’enseignant de comprendre en ligne les besoins des étudiants en étant constamment conscients de la façon dont ils reçoivent et traitent l’information », explique Fuller (2012). Parmi les initiatives concrètes que Poirier met de l’avant pour intégrer l’empathie dans son enseignement on retrouve :
- Effectuer de nombreuses vérifications du cheminement de chaque étudiant durant le cours.
- Privilégier les échanges fréquents, en continu, centrés sur une seule difficulté à la fois.
- Donner des rétroactions rapides et claires sur les examens et travaux notés. La rétroaction doit être détaillée et personnalisée. Elle doit avoir comme objectif d’expliquer les erreurs à l’étudiant, MAIS aussi de le motiver à travailler plus fort, à s’améliorer et à réussir son cours.
Puisqu’on connaît l’importance du langage corporel dans la communication, que l’on sait qu’il nous permet de décoder de l’information qui ne peut l’être autrement, il est souhaitable de recourir à la visioconférence régulièrement ou du moins lors de moments clés de la formation. En effet, la conversation en ligne en temps réel et en face à face qui permet de voir le langage corporel, mais aussi d’entendre le ton de la voix et l’inflexion de son interlocuteur participe à assurer une présence empathique en formation en ligne (Waterman, Snively et Spalla, 2016).
Que les interactions aient lieu par visioconférence, de manière audio ou même par écrit, l’une des clés pour réduire la distance et donner toutes les chances à l’empathie d’éclore réside dans le ton de la conversation initiée par l’enseignant. Pour le professeur suédois Börje Holmberg, à qui l’on doit une théorie de la communication empathique, il est primordial que dans la formation à distance l’enseignant s’adresse directement aux apprenants et qu’il adopte un ton conversationnel (Holmberg, 1995, 1999, 2003). Ce style conversationnel, Holmberg le préconise non seulement dans les échanges en mode synchrone, mais aussi pour l’ensemble du matériel pédagogique écrit et enregistré destiné au distanciel. Mario Poirier préfère pour sa part parler de « conversation pédagogique » pour décrire cet échange dans lequel l’enseignant a pour mission de faire le pont entre le contenu pédagogique et l’apprenant. C’est en étant à l’écoute de l’apprenant — de ses « intérêts, capacités, craintes, etc. » —, que l’enseignant doit trouver une manière personnalisée de s’adresser à lui pour le mettre en confiance et le motiver.
En se référant à son expérience en enseignement en ligne où ses étudiants représentent une grande diversité culturelle, Mireille Hamel explique dans son article ce que lui apporte la conversation pédagogique dans un tel contexte : « La variété de leur origine est telle que la tâche consistant à viser juste en ce qui concerne l’approche culturelle appropriée est herculéenne. Non seulement les caractéristiques culturelles de mes étudiants me sont inconnues ou très peu familières, mais chaque étudiant est aussi distinct et unique. C’est dans la conversation pédagogique dynamique que je puise les indices permettant une compréhension des besoins, des perspectives et des attentes des étudiants afin de pouvoir enrichir, présenter ou adapter le contenu de façon pertinente. » Pour que les étudiants soient non seulement sécurisés, mais aussi qu’ils s’expriment de manière authentique et collaborative, il est impératif selon elle d’adopter un ton emphatique.
Peut-on être contre la vertu?
On peut se demander si l’empathie n’est pas déjà intégrée à la plupart des approches pédagogiques actuelles; si cette pratique ne va pas à l’encontre de l’autonomie que procure la formation en ligne et qui plaît à plusieurs apprenants; ou encore si sa générosité et sa bienveillance ne risquent pas d’inciter à certains abus. À ces questionnements légitimes, on peut répondre qu’il y a sans doute plus d’avantages que d’inconvénients à un enseignement qui tient compte de cette dimension humaine relationnelle fondamentale et dont on connaît de mieux en mieux les bienfaits. Alors que la pédagogie centrée sur l’apprenant a la cote et que l’enseignant se fait de plus en plus accompagnateur plutôt que transmetteur de contenu — notamment en formation en ligne —, les approches qui visent à renforcer la qualité du lien et des interactions entre l’enseignant et ses apprenants sont à considérer sérieusement. Ajoutons que rien ne vaut le fait qu’une pratique pédagogique de l’empathie existe en bonne et due forme pour rappeler aux enseignants que cette notion fait partie des outils qui sont à leur disposition.
Et puisqu’il est dans l’ADN de cette approche de se montrer à l’écoute et de s’adapter aux besoins des apprenants, celle-ci n’exclut donc pas la possibilité de laisser plus d’« autonomie » à ceux qui le souhaitent. Le plus important reste de s’assurer que les apprenants qui peuvent tirer profit d’une relation plus tangible avec l’enseignant, d’un accompagnement plus personnalisé ou d’un sentiment d’appartenance plus marqué se trouvent dans un contexte qui le leur offre.
En formation en ligne, cette pratique semble d’autant plus pertinente qu’il est primordial d’y réduire la distance, d’y prévenir le sentiment d’isolement et d’y renforcer le lien entre l’enseignant et les apprenants. C’est sans compter les bienfaits qu’elle peut apporter à l’apprentissage en général, qui sont tout aussi valables sinon plus pour le distanciel : accroissement du sentiment de confiance, du plaisir d’étudier, de la motivation, de l’engagement, etc. Enfin, puisqu’elle n’exige pas de technologies hors de portée, cette approche est largement accessible, demandant d’abord et avant tout une volonté d’offrir un enseignement plus humain.
En complément :
- Les 3 vitesses de la pensée
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Auteure:
Catherine Meilleur
Rédactrice de contenu créatif @KnowledgeOne. Poseuse de questions. Entêtée hyperflexible. Yogi contemplative
Catherine Meilleur possède plus de 15 ans d’expérience en recherche et en rédaction. Ayant travaillé comme journaliste, vulgarisatrice scientifique et conceptrice pédagogique, elle s’intéresse à tout ce qui touche l’apprentissage : de la psychopédagogie aux neurosciences, en passant par les dernières innovations qui peuvent servir les apprenants, telles que la réalité virtuelle et augmentée. Elle se passionne aussi pour les questions liées à l’avenir de l’éducation à l’heure où se pointe une véritable révolution, propulsée par le numérique et l’intelligence artificielle.